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plètement ses sentiments et accrut encore son chagrin par la chaleur de ses propres sympathies. Quand, ayant appris que Pauline était sortie de Québec, il déclara qu’il la suivrait à n’importe quelle distance, partout, pour essayer de la sauver, ce fut avec une cordialité toute spontanée que Zulma ajouta qu’elle l’accompagnerait et ferait tout ce qui était humainement possible pour ramener à la santé cette amie qui lui était si chère.

Il n’est donc pas étonnant qu’aussi bien que Cary, elle fût vexée du silence de Batoche sur le lieu de refuge de la malade. Durant trois longs jours, le vieillard fut inexorable. Ni les cajoleries de la jeune fille, ni le grave mécontentement du militaire ne purent l’émouvoir. Sa seule réponse était :

— Pauline ne veut voir que mademoiselle Sarpy et encore, pas maintenant plus tard.

— Mais je veux la voir, répliquait Cary avec impatience.

— Alors, trouvez-la, capitaine, répondait Batoche d’un ton railleur.

Leur anxiété mutuelle, néanmoins, était un peu soulagée par l’assurance que leur donnait leur vieil ami, que l’état de Pauline s’était amélioré.

Toutefois, cette situation ne pouvait pas durer. À la fin du troisième jour, le vieux soldat courut à Valcartier. Il fut si alarmé de la rechute qu’il constata, qu’il revint presque immédiatement. Cary devina aussitôt la vérité, à l’altération de ses traits.

— Batoche, je vous ordonne de me dire où elle est.

— Patience, capitaine, répondit le vieillard, avec un accent de peine et de compassion. Votre ordre est juste et sera exécuté. Vous avez le droit de voir Pauline et vous la verrez ; mais mademoiselle Zulma doit y aller la première. Vous irez ensuite. Je me hâte de me rendre à la Pointe-aux-Trembles.

Zulma ne se fit pas répéter l’appel. Elle ordonna aussitôt la calèche et, en compagnie de Batoche, elle se rendit immédiatement à Valcartier.

Quelle entrevue ! Jamais Zulma n’avait eu tant besoin de garder son sang-froid. Si elle avait obéi à son impulsion elle aurait rempli la maison de ses gémissements. Ce n’était pas Pauline, qui était là couchée devant ses yeux ; ce n’était que son ombre. Ce n’était pas la jeune fille pleine de vie et de gaieté, qu’elle avait connue. Le sceau de la mort apparaissait sur chacun de ses beaux traits. Elle se pencha tout doucement, appuya sa tête près du front de marbre qui reposait sur l’oreiller, passa ses bras autour du cou de Pauline et l’embrassa longuement et chaleureusement. Puis, toutes deux se firent leurs plus intimes confidences, presque bouche