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les bastonnais

En arrière de la porte, il y avait un banc de bois pouvant servir de siège à deux ou trois personnes durant le jour. La nuit il tenait lieu de couchette à la petite Blanche. Une cavité circulaire pratiquée dans la grande pierre bleue du foyer était le gîte de Velours. Sur deux crochets, à portée de la main, reposait une longue et lourde carabine, bien vieille, mais encore en bon ordre, grâce à laquelle, aussi longtemps qu’il pourrait la porter, Batoche n’était pas exposé à passer un jour sans manger, car le gibier abondait dans les environs. Aux poutres étaient suspendus quantité de petits sacs de semence, de cornets de papier remplis de fleurs sauvages desséchées, des touffes d’herbes médicinales dont l’odeur âcre et pénétrante remplissait la chambre et frappait tout d’abord l’étranger, à son entrée dans la hutte. La retraite de Batoche était éloignée d’au moins un mille de toute autre habitation.

À cette époque, le pays, aux environs des chutes de Montmorency, était encore peu habité. Le plus prochain village dans la direction de Québec, était Beauport, où les habitants même étaient comparativement peu nombreux. La hutte de l’ermite était éloignée de la grand’route, à moitié chemin environ de cette route au Saint-Laurent ; sur la rive droite des chutes et juste en face de l’endroit où les eaux plongent dans le bassin de roche au fond du précipice. De sa petite fenêtre solitaire, Batoche pouvait apercevoir les chutes en tout temps, le jour et la nuit, brillantes comme des diamants sous les rayons du soleil, reluisant d’un éclat argentin au clair de lune, ou se précipitant dans les plus épaisses ténèbres sous la lueur phosphorescente de leur écume. Leur musique aussi résonnait toujours à ses oreilles et formait comme une partie de son être. Elle le suivait durant son travail et accompagnait sa pensée durant le jour ; elle l’endormait, le soir, lorsque s’éteignait le dernier tison dans l’âtre, et elle le réveillait toujours aux premières lueurs de l’aurore. Les saisons, pour lui, étaient marquées par les changements qui s’opéraient dans le bruit de la cataracte, roulement de tonnerre quand venaient la fonte de neige au printemps, ou les grandes pluies de l’automne ; léger murmure, quand les ardeurs de l’été réduisaient le torrent à un étroit ruisseau, et gémissement plaintif, semblable à celui des fils électriques, lorsque certains vents d’hiver venaient frôler la cascade entourée de glaces.

La passion de Batoche pour sa cataracte, extravagante peut-être, était bien dans son caractère, comme nous le verrons ; mais réellement, les chutes de Montmorency sont au nombre des plus belles œuvres de la nature sur ce continent. Nous tenons tous à visiter les chutes de Niagara, au moins une fois dans notre vie ; mais à