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les bastonnais

Alors le chasseur se retrouva tout entier dans Batoche. Il devint à l’instant un homme nouveau. La taille courbée se redressa, les membres affaiblis se raidirent nerveusement, les yeux sinistres lancèrent des éclairs comme pour illuminer l’espace qui s’étendait devant eux et l’expression vague et mélancolique des traits s’effaça pour faire place à une seule expression dure et farouche, celle du chasseur à l’affût. Un instant lui suffit pour déterminer l’exacte direction d’où venait le bruit. Avec mille précautions, il s’avança d’arbre en arbre d’un pas imperceptible à l’oreille et en retenant son souffle, jusqu’à ce qu’il eût atteint les abords d’un fourré. Là, il s’attendait à surprendre le loup. Longtemps et avec la plus grande attention, il épia à travers les broussailles.

« C’est un repaire de loups, » murmura-t-il. « Ce n’est pas une paire, mais bien quatre ou cinq paires d’yeux qui brillent là dans les ténèbres. Il me faut exterminer promptement cette engeance redoutable. Il ne faut pas les laisser établir leurs quartiers d’hiver si près de ma cabane. »

À ces mots, il épaula sa carabine et visa avec soin. Il avait le doigt sur la détente et allait faire feu, quand il sentit le canon de son fusil se détourner de sa position et se diriger tranquillement, mais irrésistiblement vers le sol.

— « Pas de folies, Batoche. Garde tes munitions pour d’autres loups que ceux-ci. Tu en auras bientôt besoin, » dit une voix d’un ton bas et mystérieux.

Le chasseur reconnut aussitôt Barbin, un fermier de Beauport.

— Que fais-tu ici, lui dit-il ?

— Pas le temps de répondre à tes questions ce soir. Tu le sauras plus tard.

— Et qui sont ceux-là, dans ce fourré, là-bas ?

— Mes amis et les tiens.

Batoche secoua la tête d’un air de doute et marmotta quelque chose qui signifiait qu’il voulait avancer, et se rendre compte par lui-même de l’état des choses. Il était ennemi des rôdeurs de toutes sortes et voulait savoir à qui il avait affaire avant d’abandonner ses recherches.

Un léger sifflement se fit entendre et le fourré devint aussitôt désert.

Barbin essaya de le retenir, mais l’impatience commençait à s’emparer du vieillard et il s’arracha violemment à l’étreinte du fermier.

— Pas de folies, Batoche, je le répète. Tu sais qui je suis et tu