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les bastonnais

dois comprendre que je ne serais pas dehors, dans un tel endroit et par une nuit pareille sans nécessité. Ceux-ci sont mes amis. Pour des raisons suffisantes, ils ne doivent pas être connus à présent. Crois-moi ; n’avance pas plus loin. D’ailleurs, ils sont invisibles maintenant.

— Mais pourquoi ces cris étranges ?

— Le hurlement du loup est notre cri de ralliement.

— Le loup !

— Ne comprends-tu pas maintenant ?

Le vieillard passa rapidement la main sur son front et sur ses yeux ; puis, laissant retomber son fusil, et saisissant Barbin au collet, il s’écria :

— Est-il possible ! Je savais bien que cela viendrait, mais je ne m’y attendais pas si vite. Le loup, as-tu dit ? Ah ! seize ans, c’est long, mais ça passe, Barbin. Nous sommes vieux aujourd’hui, mais pas encore cassés…

Il aurait continué sur ce train, mais son interlocuteur l’arrêta tout à coup.

— Oui, oui, Batoche, c’est comme ça. Tiens-toi prêt, comme nous le faisons. Mais il faut que je parte ; mes compagnons m’attendent. Nous avons de la besogne sérieuse à faire ce soir.

— Et moi ? demanda le vieux d’un ton de reproche.

— Ta besogne, Batoche, n’est pas pour maintenant, mais pour plus tard ; pas ici, mais ailleurs. Sois tranquille ; tu n’as pas été oublié.

Barbin disparut alors dans le bois, tandis que Batoche s’en retournait lentement vers la route, hochant la tête et se murmurant à lui-même :

«  Le loup ! Je savais que cela viendrait ; mais qui l’aurait cru ? Mon violon chantera-t-il pour moi ce soir la vieille chanson ? Clara glissera-t-elle sous la chute ? »

X
la cassette.

La petite Blanche n’avait pas été oubliée pendant tout ce temps. En atteignant la route, le vieillard interrogea des yeux l’horizon dans la direction de Québec, pendant un instant, comme s’il avait hésité entre cette route à suivre et celle de sa cabane. Apparemment, il se décida pour cette dernière, car il traversa la route d’un pas résolu et s’engagea dans l’étroit sentier conduisant à sa demeure. En y arrivant, il aperçut arrêté à quelque distance, sous les arbres, un cheval attelé à un traîneau.