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les bastonnais

Il parut néanmoins n’y prêter aucune attention et il se dirigea vers la porte, qui lui fut ouverte par la petite Blanche.

Il se baissa pour l’embrasser sur le front, posa la main sur ses cheveux et lui dit :

— C’est bien, mon enfant ; mais pourquoi es-tu si en retard ?

— Je n’ai pu revenir plus tôt, grand-père.

— Qui t’a retenu ?

Elle lui désigna du geste un homme, la figure recouverte d’un épais cache-nez et assis dans un coin obscur de la chambre. Sans lâcher sa carabine qu’il traînait de sa main gauche, Batoche s’avança vers lui. L’homme se leva, tendit la main et sourit tristement.

— Ne me reconnaissez-vous pas, Batoche ?

Le vieillard examina longuement l’étranger ; puis sa figure s’éclaira comme s’il l’avait reconnu, et il s’écria :

— Je dois me tromper ; ce n’est pas possible.

— Oui, c’est moi.

M. Belmont !

— Oui, Batoche, nous nous souvenons l’un de l’autre, quoique nous ne nous soyons pas vus depuis bien des années. Vous vivez ici de la vie d’un anachorète ; vous ne venez jamais à la ville et je reste dans la retraite, ne sortant presque jamais de la ville. Nous voilà presque des étrangers et pourtant, nous sommes amis. Nous devons être amis maintenant, même si nous ne l’étions pas auparavant.

Le vieillard ne répondit pas, mais il invita son visiteur à s’asseoir. Après avoir accroché son arme, il prit un siège auprès de lui. Le feu avait baissé et tous deux étaient assis dans les ténèbres. Blanche avait proposé d’allumer une chandelle, mais les deux hommes ayant fait un signe de refus, l’enfant s’assit de l’autre côté de l’âtre avec le chat noir couché en rond sur ses genoux.

— Je vous ai ramené l’enfant, dit M. Belmont, pour ouvrir la conversation. Elle était en bonnes mains avec Pauline sa marraine ; mais nous savions qu’elle ne passe jamais la nuit hors de votre ermitage et que vous seriez inquiet si elle ne revenait pas ce soir.

— Oh ! Blanche est comme son vieux grand-père. Elle connaît tous les sentiers de la forêt, tous les signes du firmament et le plus mauvais temps ne saurait l’empêcher de retrouver notre demeure. Je ne crains pas que les hommes ou les animaux sauvages lui fassent aucun mal ; car elle porte sur elle la marque de la Providence et aucun accident ne lui arrivera aussi longtemps que je vivrai. Il