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les bastonnais

— Hélas ! Mon ami, je veux dire que mon père m’a défendu d’avoir à l’avenir aucune relation avec vous.

Roderick fut si étonné, qu’il chancela et que, pendant quelques instants, il ne put prononcer une seule parole.

À la fin, il murmura faiblement :

— Vraiment, il doit y avoir erreur, Pauline.

Elle hocha la tête, et le regardant avec un triste sourire, elle répondit :

— Ah ! moi aussi, j’ai cru que c’était un malentendu ; mais, Roddy, ce n’est que trop vrai. J’y ai bien réfléchi ces deux jours derniers et aussi les deux dernières nuits. Aujourd’hui, apprenant que vous étiez de retour, je n’ai pu supporter plus longtemps ce fardeau. J’ai pensé à vous écrire, mais je n’avais pas le courage de coucher sur le papier cet ordre terrible. J’ai erré de tous côtés tout l’après-midi dans l’espoir de vous rencontrer. Je marchais comme dans un rêve, sentant bien, en vérité, que je faisais mal, mais avec cette lâche excuse pour ma désobéissance, qu’en vous avertissant moi-même, je vous épargnerais la honte d’être chassé du seuil de la maison de mon père, si vous vous présentiez vous-même sans connaître sa résolution.

Un tel malheur eût été pour moi un coup de mort.

Chaque parole perçait le cœur de Roderick comme d’un dard enflammé, mais il lui fallut refouler un instant le sentiment de sa propre souffrance et faire un énergique effort pour réconforter Pauline qui succombait complètement sous le poids de la douleur. Quand elle eut recouvré la force de l’écouter, il lui assura tendrement qu’il y avait, au fond de tout cela, un mystère qu’il ne pouvait approfondir et la supplia de l’aider à le découvrir, en lui rapportant minutieusement tout ce qui était arrivé depuis leur dernière entrevue.

Elle reprit peu à peu assez de force et de calme pour lui faire ce récit, racontant en détail la scène de la place de la Cathédrale, l’arrivée de l’aide de camp du lieutenant-gouverneur, la remise d’une lettre à son père, sa démarche au château, son retour à la maison, et, fondant en larmes de nouveau, elle dit comment son père l’avait trouvée occupée à lire une lettre de Roderick et comment il lui avait ordonné de la jeter au feu.

Le jeune officier ne perdit pas la portée d’un seul mot. D’abord le mystère demeura aussi impénétrable que jamais, mais après quelque temps, un réseau de soupçons se trama dans sa pensée.

Il essaya de l’écarter, néanmoins, en passant violemment la main sur son front et ses yeux. C’était trop pénible, c’était trop odieux ! Finalement, il demanda :