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les bastonnais

le premier service ; il en était neuf quand ils arrivèrent au Gloria. Précisément à ce moment suprême, un serviteur remit un papier au lieutenant-gouverneur.

Il l’ouvrit, et après l’avoir lu, il s’écria :

— Un autre verre, Messieurs. Le jockey rebelle sera contraint de traverser à la nage le Saint-Laurent sur son cheval, s’il désire nous rendre visite.

L’allusion fut aussitôt comprise et saluée par une rasade.

La note avait été envoyée par Hardinge qui, trouvant à son arrivée au château le lieutenant-gouverneur occupé avec ses invités, lui avait écrit quelques lignes pour l’informer qu’il avait réussi à ramener à la ville tous les bateaux de la rive opposée. Comme l’affaire n’était pas extraordinairement pressante, il avait donné au planton instruction de ne pas remettre cette note avant 9 heures.

À peine le bruit du toast venait-il de s’apaiser qu’un autre serviteur s’avança avec une nouvelle missive.

— Cette nouvelle ne sera pas aussi bonne que l’autre, murmura l’un des barons à l’oreille de son voisin, pendant que leur hôte lisait la dépêche.

— Et pourquoi, s’il vous plaît ?

— Parce que la loi de la vie est d’alterner.

Le vieux baron ne s’était pas trompé. M. Cramahé parcourut la lettre d’un air très grave et, tout en la repliant lentement, il dit :

— Mes amis, je regrette d’avoir à vous quitter, pour ce soir.

Mais d’abord, buvons notre cognac avec l’espoir que rien ne nous empêchera de nous réunir de nouveau, la semaine prochaine.

Quelques moments plus tard, les convives s’étaient retirés.

Le message que le lieutenant-gouverneur avait reçu était du fidèle Donald, l’informant que l’ennemi était arrivé à cinq milles de la Pointe-Lévis, et campé pour la nuit.

XVII
une noble réparation.

Après avoir quitté le château, Roderick Hardinge rentra dans ses quartiers, où il se remit de ses fatigues par un copieux souper ; puis il revêtit un costume civil de soirée pour sa visite chez M. Belmont. Son esprit était profondément occupé des détails de la conversation de Pauline sur le bord de l’eau ; mais son amour pour elle était si ardent et il puisait tant de force dans la conscience du devoir accompli, qu’il n’appréhendait aucun fâcheux résultat de