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les bastonnais

vre tout le champ de vos soupçons et de vos accusations. Je connais ces soupçons et c’est pourquoi ma déclaration est très formelle. Je vous demande de l’accepter comme ma défense complète.

M. Belmont resta les yeux fixés sur le foyer et continua à garder le silence.

— Dois-je interpréter votre silence comme une marque d’incrédulité, Monsieur ? S’il en est ainsi, je vais quitter à l’instant votre maison pour n’y jamais rentrer. Mais avant de faire cette démarche qui, pour moi, sera fatale, je dois vous faire observer que je n’avais jamais pensé qu’un parfait gentilhomme comme vous, M. Belmont, mettrait en doute la bonne foi d’un officier anglais comme moi et mon chagrin est rendu plus cruel par la pensée que votre fille, qui jusqu’ici voulait bien me favoriser de son estime ne verra plus en moi désormais que le stigmate du déshonneur empreint sur ma réputation par son propre père. Par respect pour elle, je n’en dirai pas davantage, et je vais me retirer immédiatement,

À ces mots, on entendit le frôlement d’une robe et des sanglots étouffés de l’autre côté de la porte du salon. Les deux hommes entendirent et se regardèrent instinctivement. Hardinge avait les yeux voilés de larmes, tandis que ceux de M. Belmont s’adoucissaient et prenaient une expression de poignante pitié.

— Restez, lieutenant, dit-il à voix basse ; une idée me frappe tout à coup. Mon silence est peut-être injuste. Si j’étais certain que votre déclaration embrasse toutes les circonstances de l’affaire, je n’hésiterais pas à l’accepter ; mais je crains que vous ne connaissiez pas toute l’étendue de mes griefs.

— Je suis sûr de tout connaître, dit Hardinge d’un ton significatif qui ne manqua pas de faire effet sur son interlocuteur. Celui-ci reprit aussitôt :

— Cela peut se vérifier aisément, si vous voulez répondre à quelques questions. Vous vous êtes présenté de bonne heure devant le lieutenant-gouverneur Cramahé, le matin du sept ?

— Oui, Monsieur.

— Vous lui avez remis un paquet de lettres présumées écrites par le colonel Arnold, le commandant des Bastonnais ?

— Oui, Monsieur.

— Certaines de ces lettres étaient adressées à des citoyens de Québec ?

— Exactement.

— Vous savez les noms de ces citoyens ?

— Je ne les connais pas.