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les bastonnais

Roderick aussitôt résolut de changer de tactique. Serrant son manteau sur sa poitrine et rejetant sur l’épaule droite le bord de la cape, avec les manières d’un homme qui en est venu à une décision, il dit froidement :

M. Belmont, je ne puis être traité de la sorte. Il faut que je sois entendu.

Il appuya légèrement sur ces mots, mais sans forfanterie ni provocation, et ces paroles eurent un effet visible sur son interlocuteur, car il croisa aussitôt les bras comme pour écouter. Hardinge continua :

— Il est vrai, Monsieur, que je suis venu dans votre maison comme simple citoyen et ami présumé de votre famille…

M. Belmont fit entendre un gémissement et fit un geste de dénégation. — Mais puisqu’il est évident que ma présence comme telle est désagréable, j’ajouterai maintenant que je suis également ici en ma qualité de soldat. L’objet de ma visite a en réalité un caractère militaire et conséquemment, je vous prie de m’entendre.

— Que n’avez-vous dit cela tout d’abord ! s’écria M. Belmont avec un rire amer. M. Hardinge, je ne le connais pas. Quant au lieutenant Hardinge, il me faut bien l’entendre. Lieutenant, veuillez entrer au salon.

On apporta aussitôt des lumières dans cette pièce et les deux hommes prirent place devant la cheminée, Hardinge ayant décliné l’offre d’un siège. Jetant un regard sur M. Belmont, Roderick fut frappé du changement qui s’était opéré en lui pendant les trois derniers jours. Il avait l’apparence d’un autre homme ; ses traits étaient tirés, ses yeux renfoncés dans leurs orbites et ses manières agitées et nerveuses.

Le calme normal de son extérieur avait disparu, et sa courtoisie de haut ton était remplacée par l’exagération et la pétulance des gestes. Il était là mal à l’aise, près du manteau de la cheminée, attendant que le jeune officier prît la parole. Hardinge dit enfin :

M. Belmont, cette entrevue sera brève, car elle est pénible pour nous deux. Je n’ai vraiment qu’un mot à dire, en ce qui me concerne et c’est ceci : quoique j’aie eu à remplir d’importants services militaires dans le cours de ces derniers jours, aucun de ceux-ci n’était ou ne pouvait être dirigé contre vous.

M. Belmont regarda Hardinge d’un air de doute et branla la tête, mais ne répondit rien. Roderick se mordit les lèvres et reprit :

— La déclaration que je vous fais, Monsieur, quoique brève, cou-