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les bastonnais

son esprit en était incapable. C’était simplement une calme revue de tous les faits, propre à les retracer plus vivaces encore et à en rendre l’effet plus tendre au cœur. Pendant une longue heure, elle resta assise sur le pied de son lit, tantôt pleurant, tantôt souriant ; par moments, rejetant en arrière sa jolie tête, ou cachant sa douce figure dans ses mains. Parfois une ombre couvrait ses traits délicats, mais elle était bientôt remplacée par un air de sérénité. Finalement son attitude se résuma en une apparence de bonheur dans la prière. Ses mains se joignirent sur ses genoux, son front s’inclina et ses lèvres murmurèrent des mots de gratitude.

Belle Pauline ! Assise là, les yeux penchés et tout son être partagé entre son amour terrestre et son devoir envers le ciel, elle était le vrai type de la femme aimable.

L’aiguille marquait onze heures à la petite pendule d’ivoire placée sur le manteau de la cheminée, quand elle entendit gratter à sa porte. Quelle fut la surprise de Pauline, en répondant à cet appel, de voir la petite Blanche entrer dans la chambre !

— Eh quoi ! ma petite fleur des bois, qu’est-ce qui peut bien t’amener ici ce soir ? s’écria-t-elle.

L’enfant courut à sa marraine et ne répondit pas d’abord ; mais quelque chose dans son regard faisait soupçonner que tout n’allait pas bien. Sa présence même à pareille heure était l’indice d’événements inusités, car Pauline savait que Blanche n’avait jamais passé une nuit hors de la cabine de Batoche.

— Es-tu seule, ma chérie, demanda-t-elle

— Oh ! non, marraine, grand-père est avec moi.

— Où ?

— En bas.

— Y a-t-il quelqu’un avec lui ?

— Oui, M. Belmont est avec lui. Grand-père est venu voir M. Belmont.

— Ces paroles rassurèrent quelque peu Pauline. Elle savait que Batoche venait rarement, s’il venait jamais à la ville, mais probablement les circonstances actuelles l’avaient forcé à faire cette démarche ce soir, et il avait amené sa petite fille avec lui en cas qu’il dût tarder trop longtemps. Elle se hâta donc de détacher le bonnet et le manteau de l’enfant.

— Viens près du feu, dit-elle, et chauffe-toi pendant que je te tire des gâteaux et des confitures du buffet.

Tout en parlant, elle remarqua un regard étrange dans les yeux de la petite fille.