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les bastonnais

— Dis-moi, Blanche, qu’y a-t-il ? demanda-t-elle.

— Je ne sais rien, marraine, sinon que je dois passer la nuit avec vous.

— Passer la nuit avec moi ? C’est très bien. Je prendrai bien soin de toi, ma chérie. Mais es-tu bien sûre de ce que tu dis ? Qui t’a dit cela ?

M. Belmont lui-même.

— Mon père t’a envoyée à moi ?

— Oui, et il m’a dit de rester avec vous jusqu’à ce que lui et mon grand-père viennent me chercher.

— Sont-ils en bas tous deux ?

— La figure de l’enfant reprit son étrange expression et elle répondit :

— Ils y étaient il y a un instant, mais…

Une grande crainte serra le cœur de la pauvre Pauline. Elle comprit instinctivement que quelque chose allait mal.

— Descends avec moi, Blanche, lui dit-elle à voix basse, prenant l’enfant par la main et la conduisant, en marchant sur la pointe des pieds, à l’étage inférieur. Le silence régnait dans les corridors. Les lumières du salon étaient éteintes. Le bureau, en arrière, était vide. La coiffure de son père et son pardessus n’étaient plus à leurs crochets dans le hall. Elle alla à la chambre de la servante et la trouva plongée dans un profond sommeil : il n’y avait donc aucun renseignement à obtenir de ce côté. Elle se dirigea vers la porte d’entrée qu’elle ouvrit, et regarda dans la rue. Elle put aisément distinguer les empreintes de souliers d’hommes sur la neige des marches du perron et la trace des patins d’un traîneau décrivant une courbe raide à partir du bord du trottoir.

— Ils sont partis ! murmura-t-elle.

Et serrant Blanche dans ses bras, elle remonta à sa chambre.

— Ne pleurez pas, petite marraine, dit Blanche, en jetant ses bras autour du cou de Pauline. Grand-père m’a dit qu’il viendrait me chercher avant le jour.

À ce moment, le pas assourdi des soldats se fit entendre le long de la rue et des commandements donnés à voix basse arrivèrent aux oreilles attentives de Pauline. Elle comprit qu’il se passait quelque chose de grave. Elle ferma les volets hermétiquement, rabattit les épais rideaux de ses fenêtres, attisa le feu dans l’âtre et assises devant le foyer sur des chaises basses, comme deux colombes effarouchées, elle et Blanche attendirent le lever de l’aurore.