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les bastonnais

XX
l’armée fantôme.

Après avoir quitté la salle du banquet, le lieutenant-gouverneur s’empressa de prendre les mesures que lui imposaient les nouvelles importantes qu’il avait reçues de Donald. Maintenant que la longue incertitude avait enfin cessé, et que la menace d’invasion des Bastonnais était devenue une réalité, il sentait renaître en lui l’énergie indispensable en de telles circonstances. Quelques-uns des anciens chroniqueurs, Sanguinet en particulier, ont accusé M. Cramahé de négligence dans la préparation de la défense de Québec, mais les recherches que nous avons faites pour la composition de cet ouvrage nous ont convaincus que cette accusation n’est que partiellement fondée. Le lieutenant-gouverneur agit avec lenteur dans la première période de la campagne parce qu’il partageait l’incrédulité générale à propos de l’attaque à redouter des troupes continentales et qu’il ne la croyait pas sérieuse. Quant aux mouvements de Montgomery à l’ouest, il n’avait aucune raison urgente de les craindre, puisque cet officier devait trouver à sa rencontre, dans le district de Montréal, le gouverneur-général et commandant en chef, Guy Carleton lui-même.

Carleton avait retiré de Québec presque toutes les troupes régulières pour les incorporer à son armée et aussi longtemps qu’il les employait à repousser ou à tenir en échec Montgomery, Cramahé avait réellement peu de responsabilité à encourir. On savait bien que la marche d’Arnold dans l’est, à travers les forêts du Maine était dirigée contre Québec, mais les Canadiens de cette époque, qui comprenaient tous les dangers et toutes les difficultés de l’hiver dans les forêts vierges, ne pouvaient croire que la colonne d’Arnold atteindrait jamais sa destination, et comme nous le verrons dans le livre suivant, en décrivant les principaux épisodes de cette marche héroïque, ce scepticisme reposait sur d’excellentes raisons.

Mais quand, enfin, après beaucoup de rumeurs contradictoires et un chassé-croisé de faux renseignements qui aurait pu embarrasser n’importe quel commandant, Cramahé apprit par les lettres d’Arnold, interceptées par Donald, et par le service volontaire de reconnaissance si bien fait par ce dernier, que l’armée continentale s’approchait réellement de Québec. Nous devons à la mémoire d’un digne officier, même dans ces pages de roman, de dire qu’il agit avec jugement et activité en prenant toutes les mesures préliminaires