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les bastonnais

une idée du reste de l’ameublement de la chambre, massif, artistement sculpté et de riches couleurs. Les tapisseries de murailles étaient brun et or ; les rideaux du lit et des fenêtres, d’une teinte pourprée et ornementés de broderies. La chambre avait été meublée et ornée avec art et elle était telle qu’on eût pu la désirer pour exhiber, avec le meilleur effet, une statue de marbre blanc. Zulma Sarpy était ce modèle, modèle plein de vie et de santé, blonde comme un filament de bruyère d’été et d’une perfection de statue dans toutes ses poses.

Elle avait reçu son éducation en France, suivant la coutume de beaucoup de familles riches de la colonie. Quoique renfermée pendant cinq ans, de sa quatorzième à sa dix-neuvième année, dans le rigide et aristocratique couvent de Picpus, elle avait pu voir beaucoup de la vie de Paris durant les dernières années du règne de Louis XVI et les temps de morbide extravagance mondaine qui précédèrent immédiatement la grande révolution. Les dispositions naturelles et la curiosité résultant de sa première éducation dans la colonie, la portèrent à observer avec le plus vif intérêt toutes les formes de l’existence française et son caractère en fut si profondément imprégné que lorsqu’elle revint dans sa patrie canadienne, quelques mois avant les événements que nous venons de rapporter, on la regardait à peu près comme une étrangère.

Pourtant le cœur de Zulma, en réalité, n’avait pas été gâté. Ses instincts et ses principes étaient purs. Elle ne se regardait nullement comme déplacée dans son pays natal, mais, au contraire, elle sentait qu’elle y avait une mission à remplir. Elle avait eu plus d’une occasion de contracter une union honorable en France, mais elle avait préféré retourner au Canada et passer ses jours au milieu de ses parents et de ses compatriotes.

Toutefois, il fallait la prendre comme elle était. Si les gens simples et bons qui l’entouraient ne comprenaient pas ses façons d’agir ou de parler, elle les laissait tout bonnement dans leur étonnement, sans excuses ni explications. Le rang de sa famille était si élevé et son propre caractère si indépendant, qu’elle se sentait capable de tracer sa propre voie sans se plier aux usages étroits et antiques de ceux dont l’horizon ne s’était jamais étendu, pendant une suite de générations, au delà de la ligne bleue du Saint-Laurent.

Pensait-elle à toutes ces choses, ce matin-là, en rêvant devant le feu ? Peut-être. Mais en ce cas, ses pensées n’avaient sur elle aucun effet visible. Son imagination était plutôt occupée, croyons-nous, de l’incident qui s’était produit trois jours auparavant, quand elle avait pris part à cette course échevelée avec le beau lieutenant