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les bastonnais

dement sur cette route jusqu’à ce qu’il eût atteint un point élevé situé à deux ou trois milles de Québec, dominant l’anse de Wolfe et offrant une vue superbe des hauteurs de Lévis. À cet endroit, le sieur Sarpy arrêta son cheval.

— Les voyez-vous, s’écria Eugène qui s’était mis debout dans le traîneau et montrait du doigt un point de l’autre côté de la rivière ?

— Je ne vois rien, répondit le père. Le vent fouette la neige dans nos figures, et mes vieux yeux sont bien faibles.

Zulma resta enveloppée dans ses robes de buffle et ne dit rien ; mais ses yeux étaient fixés avec beaucoup d’attention sur les sommets éloignés et sa figure portait l’impression du plus vif intérêt.

— Ils montent et descendent, reprit Eugène, comme s’ils étaient occupés à emmagasiner leurs provisions et leurs munitions. Mais on ne peut les voir bien distinctement. Je me demande s’ils peuvent nous voir mieux que nous ne les voyons.

— Oui, dit le père, ils ont vent arrière et ne sont pas incommodés par la neige qui poudroie.

Après une pause, Eugène ajouta.

— Ils ne paraissent pas avoir d’accoutrement uniforme. Ils doivent appartenir à différents corps. Il y en a qui n’ont pas d’uniforme du tout. Ils n’ont guère l’apparence de soldats et il y en a parmi eux beaucoup qui sont petits et jeunes.

— Ce doit être un effet de réfraction, dit Zulma d’une voix basse et d’un ton ironique. Ils me paraissent à moi, comme des géants dominant les hauteurs et étendant vers nous des bras immenses.

— En signe de menace ? demanda le vieillard en jetant sur sa fille un regard étrange mais plein d’affection.

— Cela dépend, murmura-t-elle en souriant ; mais elle ajouta aussitôt :

— Avançons, papa.

Quelques minutes plus tard, ils atteignirent la ville. Pour une raison quelconque, Zulma refusa d’accompagner son père et son frère au séminaire. Elle donna pour prétexte qu’elle avait à faire quelques emplettes dans les magasins ; mais son véritable but, probablement, était de visiter quelques-unes de ses amies et de s’assurer de l’état réel des choses.

Nous ne nous arrêterons pas à rechercher si elle y réussit ou non, mais une heure plus tard, elle rejoignit M. Sarpy et Eugène à l’endroit convenu pour apprendre la décision à laquelle ils étaient arrivés.

— Mon sort est entre vos mains, dit le jeune homme, ouvrant ainsi la conversation du ton de la meilleure humeur. Vous m’avez promis