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les bastonnais

La garnison de cette ville était trop faible pour soutenir l’attaque et devait infailliblement céder à un ennemi démesurément supérieur en nombre. Alors viendrait le tour de Québec. Il était bien connu que cette ville était, en réalité, le but de l’expédition américaine.

De même que la chute de Québec avait assuré la conquête de la Nouvelle-France par les Anglais en 1759, la prise de Québec devait assurer la conquête du Canada par les Américains, dans l’hiver de 1775-76. Cela avait été parfaitement compris par le congrès continental à Philadelphie. Le plan de campagne avait été tracé par le général Schuyler avec cet objectif, et quand cet officier résigna son commandement pour cause de santé, après ses succès à St-Jean, Montgomery suivit la même idée et résolut de l’exécuter.

De Montréal, il adressa au congrès une lettre dans laquelle il disait énergiquement : « Tant que Québec ne sera pas pris, le Canada ne sera pas conquis. »

Roderick Hardinge avait appris avec peine que les autorités de Québec avaient peu ou point de confiance dans la milice qu’elles croyaient incapable de défendre la ville. Il était nécessaire de détruire ce préjugé, autant dans les intérêts de cette troupe que dans ceux de la cité. Hardinge entreprit cette tâche difficile. Il n’y avait pas de temps à perdre. Dans quinze jours, Québec pouvait être investi. Il se mit à l’œuvre, avec l’aide d’un seul compagnon. Tous deux tinrent leur projet dans le plus profond secret et ne le communiquèrent pas même au commandant du corps.

On était à la nuit du 6 novembre 1775. Hardinge sortit du quartier seul et sans attirer l’attention. Il se rendit aussitôt au poste de la citadelle le plus éloigné du corps de garde. Au cri de : « Qui vive » de la sentinelle, il donna le mot d’ordre. Puis appelant par son nom le factionnaire, qui était un soldat de son régiment, il lui donna l’ordre de lui remettre son fusil. La sentinelle obéit sans faire aucune question, ni recevoir aucune explication. Hardinge était un officier, et le simple soldat n’avait qu’à lui obéir. S’il avait quelque soupçon ou s’il était poussé par quelque sentiment de curiosité, il fut mis à l’abri de l’un et de l’autre par un nouvel ordre de se retirer hors de la vue, mais à portée de la voix, jusqu’à ce que ses services fussent requis. Un coup de sifflet devait être le signal.

Roderick Hardinge resta en faction de dix heures à minuit. Comme nous l’avons vu, il avait observé minutieusement tout ce que pouvait distinguer son regard vigilant. Mais ce regard se portait le plus assidûment vers un point de l’horizon : c’était le grand chemin qui conduisait de Lévis à la forêt, en traversant les plaines de la Beauce. Il était évident que c’était dans cette direction que