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les bastonnais

devait apparaître l’objet qu’il guettait, et il ne fut pas désappointé.

Au premier coup de minuit sonnant à la tourelle de la cathédrale Notre-Dame, de l’un des points de ce grand chemin à cent verges au plus de la rive, une fusée bleue s’élança dans les airs.

À cette vue, Roderick se redressa subitement, enleva la carabine de son côté gauche, la jeta sur son épaule droite et se mit au port d’armes.

Le sixième coup de minuit venait de sonner, quand une seconde fusée bleue sillonna l’espace, mais cette fois, à au moins cinquante verges plus près que la première fois. Celui qui l’avait lancée avait évidemment dû courir vers la rivière.

Roderick fit un pas en avant et poussa un cri étouffé.

Le dernier des douze coups de cloche avait à peine résonné, qu’une troisième fusée s’éleva en sifflant du bord même du fleuve.

Roderick fit vivement volte-face et fit entendre un violent coup de sifflet. Le fidèle soldat dont il avait pris la faction accourut immédiatement. Hardinge lui jeta son fusil avec l’injonction de garder le silence. L’officier avait à peine eu le temps de disparaître dans les ténèbres, que la garde montante composée d’un caporal et de deux simples soldats se présenta et procéda à la formalité ordinaire du relèvement des sentinelles.

II
sur l’autre rive.

Le cœur palpitant d’émotion, Roderick Hardinge descendit rapidement des hauteurs de la citadelle dans la haute-ville.

En passant, il jeta un regard vers le château, mais les lumières qu’on y voyait briller deux heures plus tôt, étaient maintenant éteintes et le gouverneur dormait inconscient du danger qui accourait sur la ville durant cette nuit. Il traversa la place et entendit le bruit joyeux des officiers qui passaient gaiement la nuit à boire du vin et à jouer aux cartes.

Il répondit au « Qui vive » de la sentinelle postée à la porte qui gardait les hauteurs de la côte de la Montagne et doubla le pas en suivant le chemin tortueux qui en descend. La vieille côte a été la scène de plus d’un incident historique, mais certes, aucun de ces incidents n’a eu plus d’importance que cette démarche nocturne de Roderick Hardinge.

Le long des rues étroites et ténébreuses de la basse-ville, heurtant du pied les pierres du chemin ou trébuchant dans les ornières, il poursuivait sa route sans ralentir son allure précipitée.