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les bastonnais

— Est-il sorti de la ville ? demanda Zulma.

— Oui. Il est parti hier, promettant de revenir de bonne heure, ce matin. Son retard ne m’alarmait pas, mais maintenant, après ce que vous m’apprenez, je crains qu’il ne lui arrive malheur.

— Ne vous inquiétez pas, ma chère. Plusieurs jours se passeront avant que la ville ne soit investie et votre père ne sera pas empêché de revenir. D’ailleurs, il n’est pas un militant, je crois.

Pauline poussa un soupir, mais ne dit rien. Zulma reprit.

— Je suis sûre qu’il est neutre, tout comme mon père, et ceux qui observent la neutralité ne seront pas molestés.

— Je voudrais bien en être sûre, mais… et Pauline s’arrêta soudainement comme si elle avait craint d’exprimer ses soupçons.

— Vous devez vous rappeler, ma chère, que ces Américains ne sont pas si noirs qu’on les peint. Ce sont des hommes comme les autres et de vrais soldats sont toujours cléments, ajouta Zulma.

— Vraiment ! Croyez-vous cela ? Je ne sais qu’en penser. Mon père en cause fort peu depuis quelque temps, mais un de nos amis en parle en termes hostiles.

— Ce doit être un ultra-loyaliste.

— C’est un officier anglais.

— Un officier anglais ! Quoi, Pauline, je croyais que votre père se tenait à l’écart des représentants du gouvernement britannique !

— Oh ! mais celui-ci est vraiment un Canadien et parle français comme nous-mêmes, dit Pauline en rougissant.

— Alors, c’est bien différent, répondit Zulma d’un ton enjoué légèrement teinté de sarcasme. Je serais très curieuse de connaître ce spécimen.

— Vous le connaissez, ma chère.

— Impossible !

— Il m’a parlé de vous.

— Vraiment !

— C’est un de vos grands admirateurs.

— Vous vous moquez de moi !

— Ne pouvez-vous deviner qui il est ?

Et la petite Pauline subitement rassérénée se mit à rire comme une enfant d’avoir gagné ce léger avantage sur sa compagne.

— Vous m’intriguez et excitez ma curiosité. Je ne puis deviner. Dites-moi son nom.

— Le lieutenant Hardinge.

— Le lieutenant Hardinge !

Pourquoi les joues de Zulma s’enflammèrent-elles soudainement ? Pourquoi ses yeux bleus s’obscurcirent-ils d’une ombre lugubre ?