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elle insista et donna le détail des circonstances, les nouvelles se répandirent rapidement. Elle passa d’une rue à l’autre. De la haute-ville, elle vola à la basse-ville et à mesure qu’elle était confirmée par d’autres personnes arrivant à la ville, la population devint de plus en plus émue et bientôt les remparts furent couverts d’une foule de citadins anxieux de s’assurer par eux-mêmes de la véracité des rapports.

Pauline Belmont n’avait pas été aussi intime qu’elle aurait pu l’être avec Zulma Sarpy, d’abord parce que les deux jeunes filles avaient été séparées pendant plusieurs années passées de part et d’autre dans différentes maisons d’éducation et ensuite, et surtout, parce que leurs caractères ne s’accordaient pas. La timidité de l’une, ses goûts essentiellement domestiques ne pouvaient pas s’accommoder de la nature impulsive, sans crainte et toute en dehors de l’autre.

Intellectuellement, elles n’étaient pas égales non plus. L’esprit de Pauline était presque exclusivement soumis aux impressions étrangères et son cercle de connaissances était assez restreint. L’esprit de Zulma était bouillant de spontanéité et empreint d’une originalité agressive qui dispersait devant elle tous les usages comme autant d’éclats de bois. Pauline devait être naturellement portée à s’appuyer sur Zulma, à prêter l’oreille avec admiration à son brillant langage, à demander son avis et ensuite à sourire, craignant de mettre en pratique ses conseils.

D’un autre côté, Zulma n’éprouvait aucun désir de réclamer ou d’exercer aucun patronage. Elle était vraiment trop indépendante pour cela, et en ce qui concernait Pauline en particulier, elle préférait se plier autant que possible à son niveau. Néanmoins, dans le cours des quelques mois qui s’étaient écoulés depuis le retour de France de Zulma, les jeunes filles s’étaient rencontrées souvent et elles auraient bien désiré se rencontrer plus souvent encore, mais toutes deux étaient le plus souvent retenues à la maison, l’une par les habitudes retirées de M. Belmont, l’autre par les infirmités du sieur Sarpy.

En cette dernière occasion, Pauline fut l’une des amies que Zulma visita, et, naturellement, son premier soin fut de lui apprendre le débarquement des continentaux.

Elle fut surprise de remarquer que cette nouvelle répandait une pâleur mortelle sur les traits de sa compagne.

— Le siège va commencer sérieusement, et nous serons isolés du reste du monde, murmura Pauline, et mon père n’est pas encore de retour.