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les bastonnais

Tout à coup, on entendit la détonation d’une arme à feu, un petit panache d’une fumée bleue pâle flotta par-dessus la crête du mur. S’il y avait de l’émotion jusque-là, c’était maintenant du tumulte et de la consternation.

Un outrage avait été commis. Quelqu’un, à Québec, avait tiré sur le pavillon parlementaire. Pauline jeta un cri perçant et se cacha la figure dans les mains.

— Qu’est-il arrivé ? demanda-t-elle. La bataille va-t-elle commencer ? Hâtons-nous de nous en aller. Et Roderick, où est-il ?

— En sécurité derrière la porte, s’écria Zulma en se penchant en avant d’un mouvement prompt et nerveux et montrant du doigt devant elle ; mais l’Américain n’est pas en sûreté, lui ! On a tiré sur lui ! On a violé les lois de la guerre ! Voyez, il est le seul qui soit resté calme. Il marche fièrement, sans même tourner la tête. Voilà le héros ! On tire sur lui comme sur un chien, en violation de tous les usages civilisés, et pourtant il est plus noble qu’aucun de ceux qui prétendent regarder les Américains comme indignes d’être traités humainement.

Les Américains pouvaient à peine maintenir leur discipline. Si les troupes avaient pu suivre leur impulsion, elles se seraient jetées tête basse contre les murs pour venger l’insulte ; mais heureusement, les officiers réussirent à les calmer. Le coup de fusil n’avait pas été répété. C’était peut-être un accident ou encore quelque milicien avait-il fait feu sans ordre. Ni l’officier ni le clairon n’avaient été touchés.

L’armée se contenta de pousser un dernier cri de défi et se replia en se déployant en partie sur la gauche, de manière à occuper la grande route conduisant de la campagne à la ville. Arnold était amèrement désappointé. Sa sommation de capitulation était un trait caractéristique d’impudence, comme nous l’avons vu, non pas tant à cause de la sommation elle-même, que des menaces et d’autres termes de rodomontade dans lesquels elle était couchée. Néanmoins, elle aurait pu réussir comme ruse de guerre. L’insuccès était pour lui une cause de profond chagrin et la manière insultante et humiliante avec laquelle ce refus avait été signifié ajoutait encore à l’amertume de cette peine.

D’un autre côté, les habitants de Québec étaient jubilants. C’était un premier essai de forces et la garnison n’avait pas faibli. C’était la première fois que les Québecquois voyaient ces terribles Bastonnais et ceux-ci ne leur avaient inspiré aucune terreur.

Roderick interpréta assez bien le sentiment général dans une conversation qu’il eut, dans l’après-midi du même jour, avec