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les bastonnais

C’était en effet Roderick Hardinge qui avait reçu la mission d’aller à la rencontre de l’envoyé américain. Les deux officiers s’inclinèrent poliment et échangèrent le salut militaire ; puis eut lieu entre eux la conversation suivante, comme on l’apprit plus tard des lèvres mêmes des deux participants.

— Vous avez sans doute reçu la mission de venir me rencontrer ici, dit le Continental.

— J’ai cet honneur, Monsieur, répondit Roderick

— Et de recevoir mon message.

— Je vous demande pardon, Monsieur, mais je regrette d’avoir à vous apprendre que j’ai reçu instruction de ne recevoir aucun message que ce soit.

— Mais le colonel Arnold demande une conférence selon les usages de la guerre.

— J’en suis bien fâché. Monsieur, mais je ne puis discuter la question. Mes ordres sont de vous informer que la garnison de Québec ne désire avoir aucune communication avec le commandant des forces continentales.

— Mais, Monsieur, ce…

— Veuillez m’excuser. Nous sommes soldats tous deux. Nous avons fait notre devoir et j’ai l’honneur de vous saluer.

Le lieutenant Hardinge s’inclina et recula d’un pas ou deux. Le porteur du pavillon parut perplexe, pour un instant, devant la tournure que prenait l’affaire, mais recouvrant bientôt son sang-froid, il rendit le salut, fit demi-tour, et, suivi du clairon, repartit à grands pas, à travers la plaine.

Un tumulte général s’éleva. Des deux côtés, l’émotion était arrivée à son comble. Les Américains, voyant l’insulte faite à leur envoyé, pouvaient à peine se contenir dans les rangs. Les citadins, du haut des murailles, poussaient des hourras, et les dames agitaient leurs mouchoirs. Zulma faisait exception. Elle n’avait aucun plaisir à manifester ; au contraire. Elle ressentait vivement l’affront fait au jeune et beau rebelle et elle eut bientôt l’occasion de laisser percer ses sentiments. Comme Roderick Hardinge tournait pour revenir à la porte, il leva les yeux sur la ligne compacte des spectateurs massés sur les remparts, et aperçut Pauline et Zulma. Il envoya à toutes deux, en souriant, un coup d’œil de reconnaissance. Pauline le lui rendit d’un œil ardent et la figure animée par la joie et l’orgueil que lui donnait le service important que son ami avait été appelé à remplir. Zulma affecta de ne pas voir Hardinge et regarda du côté des Américains d’un air évidemment offensé.