Page:Lesueur - Nietzscheenne.djvu/17

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L’Allemand traîne son âme, il traîne longuement tout ce qui lui arrive. Il digère mal les événements de sa vie, il n’en finit jamais. La profondeur allemande n’est souvent qu’une « digestion » pénible et languissante.

Que la profondeur allemande soit ce qu’elle voudra — et pourquoi n’en ririons-nous pas un peu entre nous ? — nous ferions bien de sauvegarder l’honorabilité de son bon renom, et de ne pas échanger trop complaisamment notre vieille réputation de peuple profond contre le prussianisme tranchant, et contre l’esprit et les sables de Berlin. Il est sage pour un peuple de laisser croire qu’il est profond, qu’il est gauche, qu’il est bon enfant, qu’il est honnête, qu’il est malhabile. Il se pourrait qu’il y eût à cela plus que de la sagesse. Et enfin, il faut bien faire honneur à son nom : on ne s’appelle pas impunément das tiusche Volk, das Tœusche Volk, — le peuple qui trompe.

Quel martyre la lecture des livres allemands pour celui qui possède la troisième oreille ! Avec quelle répugnance il s’arrête auprès de ce marécage au mouvement paresseux, flot de sons sans harmonie, de rythmes sans allure, que l’Allemand appelle « livre ».

Il faut s’en accommoder, quand un peuple souffre et veut souffrir de la fièvre nationale et des ambitions politiques, il voit passer sur son esprit des nuages et des troubles divers, en un mot de petits accès d’abêtissement : par exemple, chez les Allemands d’aujourd’hui, tantôt la bêtise antifrançaise, tantôt la bêtise antijuive ou antipolonaise, tantôt la bêtise teutonne ou prussienne {qu’on regarde donc ces pauvres historiens, ces Sybel et ces Treitschke, et leurs grosses têtes emmitouflées) — quel que soit le nom