Page:Lettres de Mlle de Lespinasse (éd. Garnier).djvu/207

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plus grand peintre : c’est Diderot ; il m’a fait dire que je le verrais demain : j’en serai bien aise. Mais dans la disposition où je suis, c’est l’homme du monde que je voudrais le moins voir habituellement : il force l’attention, et c’est assurément ce que je ne puis, ni ne veux accorder de suite à personne au monde. Quand je dis personne, vous entendez bien que cela veut dire que je ne veux pas être distraite de celle qui remplit toute ma pensée. Ah ! que cette explication est lourde ! Mais c’est que vous êtes bête : il faut vous annoncer ce qu’on veut vous faire entendre. Mon ami, courage : car je crois, que pour cette fois-ci, vous aurez la rame de papier sans en rabattre une page. Vous remettrez cette lecture au temps où vous serez en voiture ; j’aurai rempli votre chemin, et vous m’y trouverez au bout. — Quoi ? vous croyez réellement que vous serez bien aise de me voir ? Que ce que vous me dites est aimable ! qu’il serait doux, en effet, d’être aimée de vous ! mais mon âme ne pourrait plus atteindre à ce degré de bonheur ; ce serait trop. Quelques instants, quelques éclairs de plaisir, c’est assez pour les malheureux : ils respirent et reprennent courage pour souffrir.



LETTRE LXVII

Mercredi, octobre 1774.

Je viens de relire votre lettre : il y a un mot qui me ravit, il m’avait échappé : c’est lorsque vous dites : Je reviens à nos peines. Mon ami, si je me suis méprise, ne me redressez pas ; mais je crains à présent