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LETTRE LXVIII

Ce dimanche, 30 octobre 1774.

J’ai été avertie trop tard : il y a un paquet encore par le courrier d’aujourd’hui. Quand je reçus votre lettre, j’avais déjà envoyé chez M. Turgot pour faire contre-signer. Je comptais vous écrire un mot après l’arrivée du facteur, par la voie ordinaire ; mais il n’importe : j’espère que mon volume ne sera pas perdu ; il vous sera envoyé, et avec d’autant plus de soin, qu’on verra le nom de M. Turgot. — Vraiment, je le crois, il est aisé de vous critiquer sans vous blesser, mais il n’est pas si aisé de vous louer comme je le sens, et comme vous mériteriez de l’être, sans courir le risque d’être trouvée bien exagérée, bien fade et bien monotone. Eh bien ! je m’y abandonne, et je vous dirai tout grossièrement que votre lettre à M. Turgot est excellente, parfaite : c’est le ton, c’est la mesure ; enfin c’est vous, et je ne sais rien de mieux, ni de plus dans la nature. Je vous disais, mon ami, que désormais je ne pourrais plus regarder que ce qui me faisait élever les yeux. Pour vous, vous êtes si haut que je ne pourrais y atteindre à la longue que par un trop grand effort. Mais, mon ami, que faites-vous donc, à quoi vous laissez-vous aller ? Savez-vous bien que vous me louez comme si vous aviez à me plaire ? Ô bon Dieu ! oubliez-vous qu’en ce genre votre fortune est faite ? et elle est de celles dont on ne connaît plus les bornes : ce sont les Beaujon, les Clives, etc. Ah ! que je voudrais que vous