Page:Lettres de Mlle de Lespinasse (éd. Garnier).djvu/214

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Grandisson : mais c’était sans envier le sort de Clémentine, ni de miss G… — Vous savez que le comte de Broglie commande à Metz, à la place de M. de Conflans. Mon ami, un homme d’esprit le voilà, mais je voudrais bien qu’il vous fût utile, à vous qui n’avez pas son esprit. — À propos d’esprit, je veux vous dire un mot de la czarine à Diderot. Ils disputaient souvent ; un jour que la dispute s’anima plus fort, la czarine s’arrêta en disant : « Nous voilà trop échauffés pour avoir raison ; vous avez la tête vide, moi je l’ai chaude, nous ne saurions plus ce que nous dirions. — Avec cette différence, dit Diderot, que vous pourriez dire tout ce qu’il vous plairait, sans inconvénient, et que moi je pourrais manquer. — Eh, fi donc ! reprit la czarine, est-ce qu’il y a quelque différence entre les hommes ? » Mon ami, voyez, lisez bien, et ne soyez pas aussi bête que M. d’Alembert, qui n’a vu à cela que la différence de sexe, tandis que cela n’est charmant qu’autant que c’est une souveraine qui parle à un philosophe. — Une autre fois elle lui disait : « Je vous vois quelquefois âgé de cent ans, et souvent aussi je vous vois un enfant de douze ». Mon ami, cela est doux, cela est joli, et cela peint Diderot. Si vous aimiez un peu plus les enfants, je vous dirais que je crois avoir observé que ce qui plaît à un certain point, a toujours quelque analogie avec eux : ils ont tant de grâces, tant de moelleux, tant de naturel ! Enfin, Arlequin est un composé du chat et de l’enfant, et jamais y eut-il plus de grâce ? — Savez-vous ce qui me fâche de ce paquet qui courut après vous ? c’est que vous recevrez trop tard le pardon que je vous demandais pour vous avoir accusé injustement ; c’était la poste qui était coupable, et malgré moi j’ai été complice. Mais est-ce vous ou la poste