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qui avez tort cette fois-ci ? Vous me dites : Je réponds à vos lettres du 9 et du 14. Pourquoi sautez-vous à pieds joints sur le 11, qui était un mardi ? J’ai écrit tous les courriers depuis cette époque où j’étais folle, et de la folie la plus funeste. — Mon ami, vous manquez un grand jour, celui de la rentrée du parlement. Oh ! les curieux se promettent de grands plaisirs ; les gens sages comme moi ne s’occupent pas de ce premier moment : ce sont les suites, ce sont les conséquences de cet événement qui sont d’un grand intérêt. Il s’agit de savoir si ce sont des juges ou des tyrans qu’on va remettre sur les fleurs de lis ! — Ah ! pourquoi ne parlé-je pas d’Orphée au chevalier ? Mon ami, par la raison qu’il serait barbare de parler de couleurs aux quinze-vingts. Adieu.



LETTRE LXIX

Lundi, onze heures du soir, 7 novembre 1774.

Mon ami, il me semble que vous avez des droits sur tous les mouvements et sur tous les sentiments de mon âme. Je vous dois compte de toutes mes pensées ; je ne crois m’en assurer la propriété qu’en vous les communiquant : écoutez-moi donc, et jugez mon jugement, ou plutôt mon instinct ; car je n’ai que cela pour les choses d’esprit, de goût et d’art. Oui, mon ami, l’Académie de Marseille n’a fait que justice en couronnant M. de Chamfort. Ah ! mon Dieu ! à quelle distance me paraît l’éloge qui m’avait fait beaucoup de plaisir, et qui m’en fera encore ! Que celui-ci est riche, qu’il est plein d’esprit, et de tous les genres