Page:Lettres de Mlle de Lespinasse (éd. Garnier).djvu/225

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Oh ! c’est peut-être vous qui me faites sentir, d’une manière plus profonde et plus déchirante, la grandeur de la perte que j’ai faite. Rien ne m’aurait amenée à comparer, à rapprocher ; ce mouvement involontaire me jette souvent dans le désespoir : et dans cette disposition, je ne sais lequel m’est le plus affreux, de mes regrets ou de mes remords. Mais que vous importe tout cela ? L’Opéra, la dissipation, le tourbillon de la société vous entraînent, et cela est trop juste ; je ne me plains pas : je m’afflige. Je voudrais pourtant que vous vinssiez demain avant d’aller souper : vous pourriez parler à M. d’Alembert, et peut-être à M. de Vaines. Vous avez vu qu’il m’a mandé qu’il viendrait probablement. — J’ai vu ce soir M. Turgot, il y avait plus de six mois que je n’avais été tête à tête avec lui. J’étais morte ; ainsi je crois qu’il aura regret au temps qu’il m’a sacrifié. Bonsoir. J’ai une chaleur ardente : la fièvre me consume. Ah ! c’est mourir trop lentement. Vous me hâtiez ce matin, pourquoi me retenez-vous ce soir ?



LETTRE LXXIV

À midi, 1774.

Vous ne me l’aviez pas dit, vous ne me l’aviez pas écrit, et je vous le prouverai. L’espérance de vous voir suffit pour arrêter et changer tous mes arrangements ; jugez donc si, avec l’assurance de vous voir, j’irai m’engager : mais comme vous dépendez des arrangements de madame de ***, vous ne pouvez