Page:Lichtenberger - La Philosophie de Nietzsche.djvu/61

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est mauvais et faux paraisse au grand jour ! Nous ne voulons pas construire avant l’heure, nous ne savons pas si nous pourrons jamais bâtir et si le mieux ne serait pas de ne jamais bâtir. Il y a des pessimistes paresseux, des résignés — jamais nous ne serons de ceux-là[1]. » L’idéal qu’il propose à notre admiration et à notre imitation, c’est a l’homme selon Schopenhauer », qui sait que le vrai bonheur est impossible, qui hait et qui méprise le bien-être matériel et grossier où se complaît l’humanité vulgaire, qui détruit tout ce qui est digne d’être détruit, insoucieux de sa propre souffrance, insoucieux aussi des souffrances qu’il cause autour de lui, soutenu dans sa marche douloureuse par l’inébranlable volonté d’être vrai et sincère à tout prix[2]. Seulement, au lieu de conclure, comme Schopenhauer, à la négation du vouloir-vivre, Nietzsche admire et révère, comme le Grec dionysien, cette Volonté qui veut éternellement la vie et la légitime par tous les moyens. Il est pessimiste, seulement de son pessimisme il conclut non à la nécessité de la résignation, mais à la nécessité de l’héroïsme ; il regarde l’ascétisme non comme un idéal, mais comme un symptôme de fatigue, de dégénérescence : « Le pessimisme, affirme-t-il dès cette époque, est impossible pratiquement et ne peut pas être logique. Le non-être ne peut pas être le but[3]. » Et par conséquent, au lieu de prêcher comme les pessimistes le détachement de la vie, l’aspiration au nirvâna, il regarde comme « bon » tout ce qui contribue à fortifier dans l’homme la volonté de vivre, tout ce qui donne à l’existence un but ou un intérêt de plus, tout ce qui la rend plus digne d’être vécue.

Comme les Grecs de l’époque tragique, Nietzsche est foncièrement individualiste et aristocrate. Ce qu’il admire

  1. W. X. 376.
  2. W. I. 427 ss.
  3. W. IX, 47.