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surtout dans la civilisation hellénique, c’est qu’elle a produit une foule d’hommes supérieurs. Or, c’est là, selon lui, le vrai but de la vie. Le héros tragique, l’homme selon Schopenhauer n’est pas seulement la forme la plus haute et la plus belle de l’existence, il est la raison d’être de l’existence. Comme Flaubert ou Renan, Nietzsche admet qu’un peuple est un détour que prend la nature pour produire une douzaine de grands hommes et pose en principe que : « l’humanité doit toujours travailler à mettre au monde des individus de génie ; — c’est là sa mission, elle n’en a point d’autre[1]». La jeunesse devra donc être élevée dans le culte du génie. On lui enseignera qu’elle n’a qu’un seul devoir : « hâter la naissance et le développement du philosophe, de l’artiste, du saint en nous et hors de nous, et collaborer ainsi à la suprême perfection de la nature. » On apprendra au jeune homme à se considérer lui-même comme une œuvre défectueuse de la nature, mais à honorer en même temps le génie artistique et les desseins admirables de cette ouvrière infatigable, et à l’aider de tout son pouvoir afin qu’une autre fois elle réalise mieux ses intentions. Il comprendra que la connaissance de soi, et, par suite, le mécontentement de soi sont la base de toute culture ; il dira : « Je vois au-dessus de moi quelque chose de plus élevé, de plus humain que ce que je suis moi-même ; aidez-moi tous à atteindre cet idéal, comme je viendrai moi-même en aide à celui qui pensera comme moi et souffrira comme moi : et ce, pour qu’un jour enfin naisse de nouveau l’homme qui se sent parfait et infini en savoir comme en amour, par la contemplation comme par le pouvoir créateur, l’homme qui, dans la plénitude de son être, vit au sein de la nature, qui est le juge et la mesure de toutes choses[2]. » Il ne faut plus, désormais, laisser au

  1. W. I, 442.
  2. W. 1, 443.