Page:Liszt - F. Chopin, 1879.djvu/174

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deux élémens incompatibles, destinés à se côtoyer sans jamais se pénétrer, de l’aveu même de Goethe qui disait d’un |>oëte contemporain, « qu’ayant vécu pour créer des poèmes, il av ait fait de sa vie un poëme ! » — (Er lebte dichtend und dichtete lebend.) Goethe était trop poëte lui-même pour ne pas savoir que la Poésie n’existe, que parce qu’elle trouve son éternelle Réalité dans les plus beaux instincts du canir humain. C’est là le secret que, sur ses vieux jours, le « vieillard olympien » disait avoir emmystéré — eingeheimnisst — dans ce vaste poëme de Faust, dont la dernière scène nous montre comment la Poésie, qui fut déchainée par l’imagination sur toutes les latitudes du monde, emportée par la fantaisie sur tous les domaines de l’histoire, rentre dans les sphères célestes guidée par la Réalité de l’amour et du repentir, de l’expiation et de l’intercession !

Il nous est arrivé de dire autrefois : Aussi bien que noblesse, génie oblige1). Aujourd’hui nous voudrions dire : Plus que noblesse, génie oblige, parce que la noblesse qui vient des hommes est, comme toute chose venue d’eux, naturellement imparfaite. Le génie v ient de Dieu et, comme toute chose venant de Dieu, il serait naturellement parfait si l’homme ne l’imperfectionnait. C’est lui qui le défigure, le dénature, le dégrade, au gré de ses passions, de ses illusions, de ses vindications ! La génie a sa mission, son nom le dit déjà en l’assimilant

1) Sur Paganini, après sa mort.