Page:Liszt - F. Chopin, 1879.djvu/65

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la Grande Polonaise en fa-dièzc mineur. Il y a intercale une Mazoure, innovation qui eut pu devenir un ingénieux caprice de bal s’il n’avait connue épouvanté la mode frivole, en l’employant avec une si sombre bizarrerie dans une fantastique évocation. On dirait aux premiers rayons d’une aube d’hiver, terne et grise, le récit d’un rêve fait après une nuit d’insomnie, rêvepoëme, où les impressions et les objets se succèdent avec d’étranges incohérences et d’étranges transitions, comme ceux dont Byron dit :

»…. Dreams in their dcvclopmenl have brcath,

And tears, and tortures, and the touch of joy ; They have a weight upon our waking thoughts,

And look like heralds of Eternity. » (A Dream.)

Le motif principal est véhément, d’un air sinistre, comme l’heure qui précède l’ouragan ; l’oreille croit saisir des interjections exaspérées, un défi jeté à tous les élémens. Incontinent, le retour prolongé d’une tonique au commencement de chaque mesure fait entendre comme des coups de canon répétés, comme une bataille vivement engagée au loin. A la suite de cette note se déroulent, mesure par mesure, des accords étranges. Nous ne connaissons rien d’analogue dans les plus grands auteurs au saisissant effet que produit cet endroit, brusquement interrompu par une scène champêtre, par une Mazoure d’un style idyllique qu’on dirait répandre les senteurs de la menthe et de la marjolaine !