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partis dans cette nacelle,… et, à travers des fleuves et des mers inconnues, ce cygne m’amena jusques ici.… »

Ce long récit termine l’opéra de Lohengrin, comme celui de Tannhäuser termine la pièce qui porte son nom. Mais l’un est sombre comme le désespoir, agité comme l’erreur, douloureux comme la faute, navré comme le regret, angoissé comme le remords. Toutes les souffrances de nos cœurs y trouvent une note : espérances déçues, misères inexprimables, ironies cruelles, âcres délectations ! Dans celui de Lohengrin, au contraire, il se fait un jour lumineux et ineffable à mesure qu’il avance. Un calme solennel s’empare de l’âme comme si de mystiques clartés transmondaines, s’épandaient et resplendissaient toujours plus vives et plus envahissantes. Chaque son y résonne comme un soupir de bonheur, quand il décrit le lieu où ni le mal, ni la douleur, ni la mort, ni la corruption n’ont plus d’accès, ce lieu où la sainteté est appelée à jouir de toute la plénitude des indicibles béatitudes célestes, où l’âme des élus est saturée des joies surhumaines que donne la vision de Dieu. Le dernier récit de Tannhäuser devient de mesure en mesure plus lugubre, plus déchirant, plus angoissant. L’individualité du malheureux qu’écrase l’anathème se perd peu à peu dans une vague mais immense malédiction, dans