Page:Liszt - Pages romantiques, 1912, éd. Chantavoine.djvu/227

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montre de sa virtuosité ; il faut qu’il organise un concert. Or, pour mettre sur pied cet amphibie vocal et instrumental, ce monstre bariolé aux yeux rouges, à la queue verte, aux narines bleues, épouvantail redouté de la bonne compagnie, il a besoin du concours d’une multitude d’individus dont chacun tient en main une des ficelles qui font mouvoir la difforme machine. En premier lieu, il faut qu’il sollicite une audience de son altesse l’impresario, lequel commencera par lui refuser tous les chanteurs de son théâtre, et finira, après bien des prières, par lui concéder la salle du foyer à un prix qui dépasse à peu près cinq ou six fois celui qu’il était honnête d’en demander. Puis, il lui faut être admis chez M. le commissaire de police, afin d’obtenir la permission d’exhiber ses petits talents ; et parlementer avec M. le colleur d’affiches, afin d’en faire coller l’annonce d’une manière neuve et saillante. Il lui faut encore s’enquérir de quelque cantatrice errante, qui ne manque jamais d’être laide comme un cryptogame et de se donner des airs de Malibran méconnue ; — la pourvoir d’un baryton en disponibilité, — chanteur à deux fins, propre à remplir les rôles de basse ou de ténor, selon l’occurrence. Si par malheur il s’agit pour le concertiste d’un morceau d’ensemble ou bien avec accompagnement d’orchestre, oh ! alors, ses labeurs, ses tribulations n’ont plus de terme. Ses jours et ses soirs se passent à grimper des escaliers à perte de vue, à mesurer du pied des hauteurs incommen-