Page:Liszt - Pages romantiques, 1912, éd. Chantavoine.djvu/255

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dans mes fréquents contacts avec les dilettanti de tous les pays, je n’ai point rencontré de public aussi sympathique que celui de Vienne ; il est enthousiaste sans aveuglement, sévère sans injustice ; son éclectisme judicieux admet tous les genres et ne repousse rien par prévention. S’il y avait à Vienne un peu plus de mouvement et d’activité, un peu plus de savoir-faire dont il y a peut-être trop à Paris, Vienne deviendrait, sans contredit le centre du monde musical.

Il n’y a pas d’année où les Viennois ne soient visités par deux ou trois artistes de renom. Je m’y rencontrai avec Thalberg, qui malheureusement ne s’y fit point entendre. M. Kalkbrenner y était annoncé, mais nous apprîmes à notre grand regret qu’arrivé à Munich, au lieu de continuer son voyage, il reprenait la route de France. Je fus encore à temps pour connaître une jeune et intéressante pianiste, Mlle Clara Wieck[1], qui avait obtenu l’hiver précédent de très beaux et de très légitimes succès. Son talent me charma ; il y a chez elle une supériorité réelle, un sentiment profond et vrai, une élévation constante. La manière remarquable dont elle exécuta la fameuse sonate en fa mineur de Beethoven inspira à un grand poète tragique, Grillparzer, les vers que je vous transcris et vous traduis ici :

Ein Wundermann, der Welt, des Lebens sait,
Schloss seine Zauber grollend ein

  1. La future femme de Robert Schumann.