Page:Liszt - Pages romantiques, 1912, éd. Chantavoine.djvu/269

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de Parme, et à Milan la Madona del Velo, l’une des plus sublimes créations de Raphaël ; mais, tout en admirant la hardiesse, l’éclat, la vérité, la suavité de ces peintures, je sentais que je n’étais entré dans le sens intime d’aucun ; j’étais toujours resté spectateur ; aucune de ces belles compositions ne s’était emparée de moi, si je puis m’exprimer ainsi, à l’égal de la sainte Cécile. Je ne sais par quelle secrète magie ce tableau se présenta soudain à mon esprit sous un double aspect : d’abord comme une ravissante expression de la forme humaine dans ce qu’elle a de plus noble, de plus idéal, comme un prodige de grâce, de pureté, d’harmonie ; puis au même instant, et sans aucun effort d’imagination, je crus y reconnaître un symbolisme[1] admirable et complet de l’art auquel nous avons voué notre vie. La poésie et la philosophie de l’œuvre se montrèrent à moi aussi visiblement que l’ordonnance de ses lignes et sa beauté idéelle me saisit aussi fortement que sa beauté plastique.

Le peintre a choisi le moment où sainte Cécile s’apprête à chanter une hymne au Dieu tout-puissant. Elle va célébrer la gloire du Très-Haut, l’attente du juste, l’espoir du pécheur, son âme frémit de ce frémissement mystérieux qui saisissait David lorsqu’il préludait sur la harpe sainte. Tout à coup

  1. Ce « symbolisme », cherché par Liszt dans toute œuvre d’art, est le principe même de la poétique à laquelle appartiennent ses compositions, les Années de Pélerinage et plus tard les Poèmes Symphoniques.