Page:Liszt - Pages romantiques, 1912, éd. Chantavoine.djvu/299

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lechner. Son récent dévouement conjugal mérite toute sorte d’éloges. Par un évanouissement prolongé elle a rappelé le parterre inflexible aux lois de l’humanité, et a sauvé à son mari les horreurs d’un fiasco con fiocchi qui menaçait le maëstro de Marie Tudor[1].

Le ténor le plus à la mode en ce moment est Mariani. Il est fort jeune. Depuis trois ans seulement au théâtre, s’il consentait à travailler, il se placerait sans nul doute en première ligne parmi les grands chanteurs. Mais c’est là ce qu’il n’a pas fait, ce qu’il ne fait pas, et ce que, je le crains bien, il ne fera jamais. Son admirable voix, la plus absolument belle que j’aie jamais entendue, suffit à ses succès. Maintes fois je l’ai vu en scène avec Mlle Ungher paraissant ne trop rien comprendre au jeu pathétique, à la savante déclamation de la grande actrice. Après l’avoir écoutée, le sourire sur les lèvres, ainsi qu’il convient à un ténor bien élevé, son tour venu, il s’avançait vers la rampe et chantait sa partie de duo, quelle que fût la situation, avec la même tendresse mélancolique, la même absence de déclamation et, il faut bien le dire, avec un accent divin qui arrachait au public des applaudissements passionnes. Probablement alors il se demandait à part lui à quoi bon ces inflexions de voix terribles ou déchirantes, ces notes brisées, cette déclamation qui se modifie suivant le

  1. Sophie Schoberlechner (1807-1863) était la femme du compositeur du même nom (1797-1843).