Page:Livre du Chevalier de La Tour Landry.djvu/82

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Cy parle de deux filles d’un chevalier,
dont l’une estoit devotte et l’autre gourmandoit
Chappitre VIe


Un chevalier estoit qui avoit deux filles. L’une estoit de sa première femme, et l’autre de la seconde. Celle de la première étoit à merveilles devote, ne jamais ne mangast jusques à tant qu’elle eust dictes ses heures toutes et ouyes toutes les messes qu’elle pouvoit oïr. Et l’autre fille estoit sy chiere tenue et sy couvée que l’on lui laissoit faire le plus de sa voulenté, que, dès si tost qu’elle avait ouye une petite messe et dictes deux paternostres ou trois, elle s’en venoit en la garde robe et là mengoit la souppe au matin ou aucune lescherie, et disoit que la teste lui faisoit mal à jeuner. Mais ce n’estoit que mauvaise amorson, et aussy quant son père et sa mère estoient couchiez, il convenoit qu’elle mangast aucun bon morsel d’aucune bonne viande.

Si mena ceste vie tant, qu’elle fust mariée à un chevalier saige et malicieux. Dont il advint que au fort son seigneur sceust sa manière, qui estoit mauvayse pour le corps et pour l’ame ; si luy montra moult doulcement et par plusieurs foiz que elle faisoit mal de telle vie mener. Mais oncques ne s’en voult chastier, pour beau parler que l’en luy sceust faire. Dont il advint une fois qu’il avoit dormy un sompne, si tasta delez