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De la Perception. Liv II.

réellement dans celui qui la produit. Mais lors que nos Sens ne ſont pas capables de découvrir aucune diſſemblance entre l’idée qui eſt produite en nous, & la qualité de l’Objet qui la produit, nous ſommes portez à croire que nos Idées ſont des reſſemblances de quelque choſe qui exiſte dans les Objets, & non les effets d’une certaine puiſſance, qui conſiſte dans la modification de leurs prémiéres qualitez, avec qui les Idées, produites en nous, n’ont aucune reſſemblance.

§. 26.Diſtinction qu’on peut mettre entre les ſecondes Qualitez. Enfin, excepté ces prémiéres Qualitez qui ſont réellement dans les Corps, je veux dire la groſſeur, la figure, l’étenduë, le nombre & le mouvement de leurs parties ſolides, tout le reſte par où nous connoiſſons les Corps & les diſtinguons les uns des autres, n’eſt autre choſe qu’un différent pouvoir qui eſt en eux, & qui dépend de ces prémiéres qualitez, par le moyen desquelles ils ſont capables de produire en nous pluſieurs différentes Idées, en agiſſant immédiatement ſur nos Corps, ou d’agir ſur d’autres Corps en changeant leurs prémiéres qualitez, & par-là de les rendre capable de faire naître en nous des idées différentes de celles que ces Corps y excitoient auparavant. On peut appeler les prémiéres de ces deux puiſſances, des ſecondes Qualitez qu’on apperçoit immédiatement, & les derniéres, des ſecondes Qualitez qu’on apperçoit médiatement.



CHAPITRE IX.

De la Perception.


§. 1.La Perception eſt la prémiére Idée ſimple produite par la Réflexion.
LA Perception eſt la prémiére Faculté de l’Ame qui eſt occupée de nos Idées. C’eſt auſſi la prémiére & la plus ſimple idée que nous recevions par le moyen de la Réflexion. Quelques-uns la déſignent par le nom général de Penſée. Mais comme ce dernier mot ſignifie ſouvent l’opération de l’Eſprit ſur ſes propres Idées lors qu’il agit, & qu’il conſidere une choſe avec un certain dégré d’attention volontaire, il vaut mieux employer ici le terme de Perception, qui fait mieux comprendre la nature de cette Faculté. Car dans ce qu’on nomme ſimplement Perception, l’Eſprit eſt, pour l’ordinaire, purement paſſif, ne pouvant éviter d’appercevoir ce qu’il apperçoit actuellement.

§. 2.Il n’y a de la perception que lors que l’impreſſion agit ſur l’Eſprit. Chacun peut mieux connoître ce que c’eſt que perception, en réflechiſſant ſur ce qu’il fait lui-même, lorſqu’il voit, qu’il entend, qu’il ſent, &c. ou qu’il penſe, que par tout ce que je lui pourrois dire ſur ce ſujet. Quiconque reflechit ſur ce qui ſe paſſe dans ſon Eſprit ne peut éviter d’en être Inſtruit ; & s’il n’y fait aucune réflexion, tous les diſcours du monde ne ſauroient lui en donner aucune idée.

§. 3. Ce qu’il y a de certain, c’eſt que quelques alterations, quelques impreſſions qui ſe faſſent dans notre Corps ou ſur ſes parties extérieures, il n’y a point de perception, ſi l’Eſprit n’eſt pas actuellement frappé de ces alterations, ſi ces impreſſions ne parviennent point juſque dans l’intérieur