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De la Puiſſance. Liv. II.

point la détermination de ſon Eſprit. Des mouvemens convulſifs agitent ſes jambes, de ſorte que, quoi qu’il veuille en arrêter le mouvement, il ne peut le faire par aucune puiſſance de ſon Eſprit, ces mouvemens convulſifs le contraignant de danſer ſans interruption, comme il arrive dans la maladie qu’on nomme Chorea Sancti Viti. Il eſt tout viſible que bien loin d’être en liberté à cet égard, il eſt dans une auſſi grande néceſſité de ſe mouvoir, qu’une pierre qui tombe, ou une Balle pouſſée par une Raquette. D’un autre côté, la Paralyſie empêche que ſes Jambes n’obeïſſent à la détermination de ſon Eſprit, s’il veut s’en ſervir pour porter ſon Corps dans un autre Lieu. La liberté manque dans tous ces cas, quoi que dans un Paralytique même ce ſoit une choſe volontaire de demeuré aſſis, tandis qu’il préfere d’être aſſis à changer de place. Volontaire n’eſt donc pas oppoſé à Néceſſaire, mais à Involontaire, car un homme peut préferer ce qu’il veut faire, à ce qu’il n’a pas la puiſſance de faire : il peut préferer l’état où il eſt, à l’abſence ou au changement de cet état, quoi que dans le fond la néceſſité l’aît reduit à ne pouvoir changer.

§. 12.Ce que c’eſt que la Liberté. Il en eſt des penſées de l’Eſprit comme des mouvemens du Corps. Lorſqu’une penſée eſt telle que nous avons la puiſſance de l’éloigner ou de la conſerver, conformément à la préference de notre Eſprit, nous ſommes en liberté à cet égard. Un homme éveillé étant dans la néceſſité d’avoir conſtamment quelques idées dans l’Eſprit, n’eſt non plus libre de penſer ou de ne pas penſer, qu’il eſt en liberté d’empêcher ou de ne pas empêcher que ſon Corps touche ou ne touche point aucun autre Corps. Mais de tranſporter ſes penſées d’une idée à l’autre, c’eſt ce qui eſt souvent en ſa diſpoſition ; & en ce cas-là, il eſt auſſi libre par rapport à ſes Idées, qu’il l’eſt par rapport aux Corps ſur leſquels il s’appuye, pouvant ſe tranſporter de l’un ſur l’autre comme il lui vient en fantaiſie. Il y a pourtant des Idées, qui comme certains Mouvemens du Corps, ſont tellement fixées dans l’Eſprit, que dans certaines circonſtances on ne peut les éloigner quelque effort qu’on faſſe pour cela. Un homme à la torture n’eſt pas en liberté de n’avoir pas l’idée de la douleur, & de l’éloigner en s’attachant à d’autres contemplations. Et quelquefois une violente paſſion agit ſur notre Eſprit, comme le vent le plus furieux agit ſur nos Corps, ſans nous laiſſer la liberté de penſer à d’autres choſes auxquelles nous aimerions bien mieux penſer. Mais lorſque l’Eſprit reprend la puiſſance d’arrêter ou de continuer, de commencer ou d’éloigner quelqu’un des mouvemens du Corps ou quelqu’une de ſes propres penſées, ſelon qu’il juge à propos de préferer l’une à l’autre, dès lors nous le conſiderons comme un Agent libre.

§. 13.Ce que c’eſt que la Néceſſité. La Néceſſité a lieu par-tout où la penſée n’a aucune part, ou bien par-tout où ne ſe trouve point la puiſſance d’agir ou de ne pas agir en conſéquence d’une direction particulière de l’Eſprit. Lorſque cette néceſſité ſe trouve dans un Agent capable de volition, & que le commencement ou la continuation de quelque Action eſt contraire à cette Préference de ſon Eſprit, je la nomme Contrainte ; & lorſque l’empêchement ou la ceſſation d’une Action, eſt contraire à la volition de cet Agent, qu’on me permette de l’ap-