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De l’Etenduë de la Connoiſſſance humaine. Liv. IV.

nous bornons notre contemplation à ce petit Coin de l’Univers où nous ſommes renfermez, je veux dire au Syſtême de notre Soleil & à ces grandes Maſſes de matiére qui roulent viſiblement autour de lui, combien de diverſes ſortes de Vegetaux, d’Animaux & d’Etres corporels, doûez d’intelligence, infiniment différens de ceux qui vivent ſur notre petite Boule, peut-il y avoir, ſelon toutes les apparences, dans les autres Planetes, deſquels nous ne pouvons rien connoître, pas même les figures & leurs parties extérieures, pendant que nous ſommes confinez dans cette Terre, puiſqu’il n’y a point de voyes naturelles qui en puiſſent introduire dans notre Eſprit des idées certaines par Senſation ou par Reflexion ? Toutes ces choſes, dis-je, ſont au delà de la portée de ces deux ſources de toutes nos Connoiſſances, de ſorte que nous ne ſaurions même conjecturer dequoi ſont parées ces Regions, & quelles ſortes d’habitans il y a, tant s’en faut que nous en ayions des idées claires & diſtinctes.

§. 25.Parce qu’ils ſont trop petits. Si une grande partie, ou plûtôt la plus grande partie des différentes eſpèces de Corps qui ſont dans l’Univers, échappent à notre Connoiſſance à cauſe de leur éloignement, il y en a d’autres qui ne nous ſont pas moins cachez par leur extreme petiteſſe. Comme ces corpuſcules inſenſibles ſont les parties actives de la Matiére & les grands inſtrumens de la Nature, d’où dépendent non ſeulement toutes leurs Secondes Qualitez, mais auſſi la plûpart de leurs opérations naturelles, nous nous trouvons dans une ignorance invincible de ce que nous deſirons de connoître ſur leur ſujet, parce que nous n’avons point d’idées préciſes & diſtinctes de leurs prémiéres Qualitez. Je ne doute point, que, ſi nous pouvions découvrir la figure, la groſſeur, la contexture & le mouvement des petites particules de deux Corps particuliers, nous ne puſſions connoître, ſans le ſecours de l’experience, pluſieurs des opérations qu’ils ſeroient capables de produire l’un ſur l’autre, comme nous connoiſſons préſentement les propriétez d’un Quarré ou d’un Triangle. Par exemple, ſi nous connoiſſions les affections méchaniques des particules de la Rhubarbe, de la Ciguë, de l’Opium & d’un Homme, comme un Horloger connoit celle d’une Montre par où cette Machine produit ſes opérations, & celles d’une Lime qui agiſſant ſur les parties de la Montre doit changer la figure de quelqu’une de ſes rouës, nous ſerions capables de dire par avance que la Rhubarbe doit purger un homme, que la Ciguë le doit tuer, & l’Opium le faire dormir, tout ainſi qu’un Horloger peut prévoir qu’un petit morceau de papier poſé ſur le Balancier, empêchera la Montre d’aller, juſqu’à ce qu’il ſoit ôté, ou qu’une certaine petite partie de cette Machine étant détachée par la Lime, ſon mouvement ceſſera entiérement, & que la Montre n’ira plus. En ce cas, la raiſon pourquoi l’Argent ſe diſſout dans l’Eau forte, & nous dans l’Eau Regale ou l’Or ſe diſſout quoi qu’il ne ſe diſſolve pas dans l’Eau forte, ſeroit peut-être auſſi facile à connoître, qu’il l’eſt à un Serrurier de comprendre pourquoi une clé ouvre une certaine ſerrure, & non pas une autre. Mais pendant que nous n’avons pas des Sens aſſez pénétrans pour nous faire voir les petites particules des Corps & pour nous donner des idées de leurs affections méchaniques, nous devons nous réſoudre à ignorer leurs propriétez & la maniére