Page:Loi salique, ou Recueil contenant les anciennes rédactions de cette loi et le texte connu sous le nom de "Lex emendata".djvu/549

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Lorsque les ingénus avaient commis un crime capital, le chapitre IX de l'édit de Childebert de 695 constate qu’ils ne pouvaient être condamnés à mort que par le roi. Dans aucun cas, même par ordre du roi, ils ne pouvaient être battus de verges[1]. Seuls, puisqu'en effets ils formaient seuls l'armée nationale, ils avaient obtenu des biens par le partage que produisit la conquête, et seuls aussi, selon moi du moins, comme on le verra dans la dissertation huitième, ils avaient le privilège de ne payer aucun impôt pour ces biens.

Lorsqu’on éprouva la nécessité de trouver des mots pour exprimer les distinctions et les sous-distinctions que produisait le développement de l’état social, le mot nobilis fut souvent employé pour désigner les hommes dont la liberté était complète et parfaite, que j’entends ici par ingénus[2]. C’est, ce me semble, ce qui peut expliquer le célèbre passage de Thegan, Vita Ludov. Pii, cap. XLIX : Fecit te liberam, non nobilem, quod impossibile est post libertatem ; c'est-à-dire : d’esclave que tu étais, il t’a affranchi ; mais il ne t’a pas fait ingénu d’extraction, ce que ne peut produire la concession de liberté.

Si en effet par nobilem il fallait entendre la collation d'un titre de noblesse, d’illustration, de haute dignité, la phrase de Thegan serait un non-sens. Il n’a jamais été douteux que les rois pouvaient investir des plus hautes distinctions, des affranchis, c’est-à-dire des hommes qui avaient été esclaves. Grégoire de Tours, liv. IV, chap. XLVII, parle d’Andarchius, d’abord esclave d’un particulier qui fut revêtu d’une dignité par le roi Sigebert, et liv. V, chap. XLIX, de Leudaste, qui du plus bas esclavage était parvenu à la fonction de comte de Tours. Mais le roi en accordant cette faveur ne pouvait changer la nature des choses ; il ne pouvait faire que l'affranchi eût été ingénu d’extraction ; et effectivement la législation, sans méconnaître la liberté de l'affranchi, ni les dignités dont il pouvait être revêtu, le distinguait toujours, sous le rapport des compositions, des hommes placés dans la même situation politique, mais nés ingénus, ainsi que je le prouverai plus bas.

Le plus généralement, c’était parmi eux que les rois choisissaient les ducs, les comtes, les sagibarons, et les autres fonctionnaires à qui ils confiaient l’exercice des pouvoirs publics ; car s’il est possible que dans l’origine quelques-unes de ces fonctions aient été électives, le roi ne tarda pas à s’en attribuer le choix et la révocation.

Cependant on ne serait pas fondé à assurer que l’ingénuité, telle que je l’ai

  1. Fredcgarii Chronic. cap, XCV ; Ckronic. Moissiac, ann. 670. —
  2. Vita S, Albini, apud Mabill. Acta SS. S. Bened. sec. 1, t. I, p. 109 ; Vitm S. Leodegarii ap. D. Bouquet, t. II, p. 609 ; Charta Carlomani, apud D. Bouquet, t. IX, p. 420.