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MADAME CHRYSANTHÈME

oreille, sans s’embrouiller jamais dans ces harmonies dissonantes, étranges, toujours tristes.

Moi, le plus souvent, tandis que se fait leur musique, j’écris, sous la véranda, devant le panorama superbe. J’écris par terre, assis sur une natte et m’appuyant sur un petit pupitre japonais orné de sauterelles en relief ; mon encre est chinoise ; mon encrier, pareil à celui de mon propriétaire, est en jade, avec des crapauds mignons et des crapoussins sculptés sur le rebord. Et j’écris mes mémoires, en somme, — tout à fait comme en bas M. Sucre !… Par moments je me figure que je lui ressemble, et cela m’est bien désagréable…

Mes mémoires… qui ne se composent que de détails saugrenus ; de minutieuses notations de couleurs, de formes, de senteurs, de bruits.

Il est vrai, tout un imbroglio de roman semble poindre à mon horizon monotone ; toute une intrigue parait vouloir se nouer au milieu de ce petit monde de mousmés et de cigales : Chrysanthème amoureuse d’Yves ; Yves de Chrysanthème ; Oyouki, de moi ; moi, de personne… Il y aurait même là matière à un gros drame fratricide, si