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MADAME CHRYSANTHÈME

petites assiettes ; l’autre encore, des choses indéfinissables sur des bijoux de petits plateaux. Et elles s’accroupissent devant moi par terre, déposant à mes pieds toute cette dînette.

À ce moment, j’ai une impression de Japon assez charmante ; je me sens entré en plein dans ce petit monde imaginé, artificiel, que je connaissais déjà par les peintures des laques et des porcelaines. C’est si bien cela ! Ces trois petites femmes assises, gracieuses, mignardes, avec leurs yeux bridés, leurs beaux chignons en coques larges, lisses et comme vernis ; — et ce petit service par terre ; — et ce paysage entrevu par la véranda, cette pagode perchée dans les nuages ; — et cette préciosité qui est partout, même dans les choses. C’est si bien cela aussi, cette voix mélancolique de femme, qui continue de se faire entendre derrière la cloison de papier ; c’est ainsi évidemment qu’elles devaient chanter, ces musiciennes que j’avais vues jadis peintes en couleurs bizarres sur papier de riz et fermant à demi leurs petits yeux vagues, au milieu de fleurs trop grandes. Je l’avais deviné, ce Japon-là, bien longtemps avant d’y venir. Peut-être pourtant, dans la réalité, me