Page:Loti - Pêcheur d Islande.djvu/95

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passer, et sans cesse remplacées par d’autres qui venaient du fond de l’horizon, tentures de ténèbres, se dévidant comme d’un rouleau sans fin…

Elle fuyait devant le temps, la Marie, fuyait, toujours plus vite ; – et le temps fuyait, aussi — devant je ne sais quoi de mystérieux et de terrible. La brise, la mer, la Marie, les nuages, tout était pris d’un même affolement de fuite et de vitesse dans le même sens. Ce qui détalait le plus vite, c’était le vent ; puis les grosses levées de houle, plus lourdes, plus lentes, courant après lui ; puis la Marie entraînée dans ce mouvement de tout. Les lames la poursuivaient, avec leurs crêtes blêmes qui se roulaient dans une perpétuelle chute, et elle, — toujours rattrapée, toujours dépassée, — leur échappait tout de même, au moyen d’un sillage habile qu’elle se faisait derrière, d’un remous où leur fureur se brisait.

Et dans cette allure de fuite, ce qu’on éprouvait surtout, c’était une illusion de légèreté ; sans aucune peine ni effort, on se sentait bondir. Quand la Marie montait sur ces lames, c’était sans secousse comme si le vent l’eût enlevée ; et sa redescente après était comme une glissade, faisant