Page:Louant - Pauvre Germaine !, 1888.djvu/10

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
10

J’ai, à ce sujet, de fréquentes petites guerres à soutenir contre Jeanne et même contre Jacques, tous deux s’entendent pour aimer le bruit, le mouvement, le monde… Ils voudraient voyager ; sortir de ce trou, dit Jeanne, où tu t’enterres comme une vieille fille.

Une vieille fille ; oui vraiment, j’ai vingt-six ans aussi et ma petite sœur pourrait dire vrai, mais vienne le printemps prochain…

Je pense à la chrysalide dont l’enveloppe grise retient le papillon prisonnier.


Septembre. — Le dimanche, quand nous allons à la messe du village, Jeanne est l’objet de tous les regards ; je vois avec orgueil combien on la trouve jolie.

Les beaux Messieurs des châteaux voisins s’empressent sur notre passage ; c’est à qui, à l’entrée, nous offrira l’eau bénite pour avoir l’occasion de toucher le bout de ses doigts. Elle pourra choisir le mari qu’elle voudra, quand elle sera en âge d’être mariée.

On nous sait riches, ce qui ne gâte rien ; cela me permettrait d’en faire une ravissante comtesse ou une jolie baronne. Les mères déjà nous font mille avances ; mais je serai très difficile pour elle : elle aime le monde et elle y tiendra bien sa place ; de ce côté, je puis la satisfaire ; cependant, je ne la donnerai qu’à l’homme dont je serai sûre, à celui qui la méritera et me répondra de son bonheur.

Notre voisin le baron de Vestel me plairait ; quel dommage qu’il paie si peu de mine ! Il faut être une vieille femme, comme moi, pour chercher et aimer à découvrir les générosités et les délicatesses de cet esprit charmant, qui enferme ses trésors comme un avare. Il a une mère adorable qu’il n’a jamais quittée, et qu’on serait si heureuse d’aimer ! Il n’est pas riche, ce qui n’est pas un obstacle, au contraire.

Ah ! si Jeanne voulait ! mais elle est si jeune et ce n’est pas le privilège de la jeunesse d’être touchée des mérites cachés ; elle juge d’abord avec les yeux.

J’essaierai cependant de les rapprocher. L’aimable baronne est venue à nous, à la sortie de l’église, et m’a beaucoup priée de faire, en sa faveur, une exception à la retraite que nous impose notre deuil.

Le jeune baron, respectueusement attentif, regardait Jeanne avec admiration.

— Elle est fraîche comme une fleur, cette belle enfant, me disait, tout bas, sa mère.

— Et bonne aussi, Madame, ce qui vaut mieux.

— Comme vous, alors, mademoiselle Germaine.