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que ma souffrance détourne Jacques d’un projet auquel il semble tenir ; je n’ai jamais aimé à dire que je soutire, la douleur doit avoir sa pudeur.

Ce soir, devant ce cahier qui contient toutes mes pensées, le meilleur de moi-même, je me demande en vain le motif vrai, que je sens douloureux, sans le deviner.

Serait-ce Jeanne ?

Depuis quelque temps et malgré tous mes efforts, leurs rapports sont des plus difficiles : Jeanne est méchante et agressive et malgré une patience que je ne connaissais pas à Jacques, il paraît la supporter avec peine.

Si c’est cela, quoi que j’en dusse souffrir, mieux vaut qu’il parte ; une absence de quelques jours me livrera Jeanne plus docile ; je la connais, mais pourquoi ne m’en dit-il rien ? À deux nous trouverions plus aisément un remède à cet état de choses, pénible pour tous. Au contraire, une sorte de réserve, de froideur même, causée, sans doute, par la présence de Jeanne, règne entre nous. En son absence, je me ressaisirai et lui écrirai librement comme j’y suis habituée.

Je m’en veux, de cette timidité absurde qui m’a empêchée de provoquer une causerie à cœur ouvert ; ne suis-je donc pas sa fiancée, presque sa femme ? ne sent-il pas que je suis toute prête à prendre toutes les mesures qu’il voudra pour assurer son bonheur ?


Novembre. — Il y a déjà un mois que Jacques est parti. Quelles tristes heures nous passons, toutes deux, au coin du feu solitaire, dans le petit salon, où la lampe, que nous oublions, éclaire à peine nos robes de deuil !

L’hiver nous confine au logis ; au dehors la pluie bat les vitres avec violence, et ferme tout l’horizon, le vent siffle lugubrement dans les cheminées, sous les portes, par chaque fente, sa plaine lamentable.

Jeanne a perdu tout son entrain, il lui faut le soleil, comme aux fleurs ; elle est silencieuse et semble souffrante.

Quand nous parlons, le bruit de nos voix éveille les échos ; car ils sont endormis ; depuis des jours ils n’entendent plus le rire de ma petite sœur, ce joli rire, qui, du tintement de ses grelots d’argent, secouait les pensées moroses, et réveillait, dans la maison, la jeunesse et la vie.

— Quand il gèlera, petite Jeanne, nous allons reprendre nos courses, nous irons à Haut-Mont. Tu te souviens combien la grande salle de la ferme est pittoresque, les soirs d’hiver, quand flambe, sous le manteau de l’immense cheminée, le tronc entier d’un vieil arbre, et qu’autour tout le personnel de la ferme s’occupe de travaux divers, au bruit