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j’ai voulu le haïr pour être sûre île ne pas l’aimer. Puis je t’ai vue si calme près de lui, si paisible dans ta gravité ordinaire, que je me suis persuadée que tu ne l’aimais pas comme moi.

Et elle se serra plus fort contre moi, en cachant sa figure dans mon cou, comme elle faisait dans sa petite enfance :

— Et lui, Jeanne, lui ? dis-je doucement avec un reste d’espoir.

Elle se dégagea et me montra, de la main, un coffret où elle serre ses petits bijoux. J’y courus et, sous l’ouate rose, je trouvai la lettre que voici :

« Eh bien, oui, Jeanne, je vous aime et je pars ; mais vous le savez, j’appartiens à Germaine, et quoique je la croie trop calme, trop grave pour éprouver un sentiment exalté, je me dois à notre passé, aux promesses échangées ; n’ayant jamais pensé à une autre femme, je croyais l’aimer autant qu’il est possible, mais ce que j’éprouve pour vous, m’a éclairé sur le véritable état de mon cœur. J’aime sa bonté, son esprit ; je l’aime avec respect, comme un être supérieur ; tandis que vous, Jeanne, je vous aime comme mon égale et comme on aime l’être qui réalise un idéal longtemps endormi au fond du cœur. »

Hélas ! égoïste que j’étais, je n’ai pas compris que dans la solitude où nous vivions à trois, l’éveil de ce jeune cœur était inévitable, et que ma sœur ne pouvait revoir Jacques et l’apprécier, sans l’aimer comme moi.

J’ai dit à Jeanne : Dépêche-toi de guérir, Jacques reviendra le jour où tu pourras aller l’attendre à la grille du jardin.

Elle a jeté un cri de joie, sans penser à moi ; amour égoïste et cruel, que fais-tu de nous !

Depuis, ses forces reviennent rapidement, je sens qu’elle veut vivre, et qu’elle attend de moi un complément de vie.


15 décembre. — J’ai accompli mon sacrifice ; j’ai écrit longuement à Jacques, je lui ai tout dit et j’ai répondu à toutes ses objections ; quand il reviendra, aucune explication ne sera plus nécessaire entre nous.

Je pourrais les chasser, les maudire et m’ensevelir pour pleurer… et après ? Pauvre Germaine ! non, je veux être bénie de celle qui nous aimait toutes deux et qui m’a confié sa fille.

Oh ! certainement, mère, tu n’as pas prévu jusqu’où pouvait aller mon dévouement ; tu as cru que je la ferais riche, cette enfant, mais tu n’as pas pensé qu’elle placerait son bonheur dans l’amour de celui qui m’appartenait, et que pour t’obéir je briserais mon cœur.