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beautés de la terre et du ciel ; mon cœur à tout ce qui est bon et à tout ce qui souffre : mon âme est pleine d’une inexprimable tristesse.


20 Avril. — Ma douleur est égoïste ; je suis aujourd’hui chargée de mille soucis d’affaires ; il me faut du courage, car j’ai charge d’âme ; il faut songer à notre avenir, à l’avenir de Jeanne, qu’il convient d’assurer, quoique Jacques et moi, soyons bien décidés à la traiter comme une sœur aimée.

Ce matin, nous sommes convenus qu’elle ne rentrerait pas en pension : je vais la garder près de moi et je l’aiderai dans ses études ; je me ferai un bonheur d’être son institutrice, son amie et sa mère ; j’accomplirai le vœu que j’ai fait au lit de mort de la bien-aimée qui me l’a donnée pour me rattacher à la vie, au devoir.


Mai. — Nous nous marierons après les premiers mois de notre deuil. Jacques ne quittera pas la maison qui fut sa vraie maison paternelle et qui m’appartient. Il vient de passer son dernier examen, il est médecin et rien ne nous séparera plus.

Destinés l’un à l’autre de tout temps, nous sommes habitués à l’idée de nous appartenir ; quand on parlait à ma mère d’un parti avantageux pour moi, elle disait : À qui donnerais-je Germaine dont je fusse plus sûre !

Aujourd’hui, il convient de rapprocher l’époque de notre mariage, nous ne pouvons rester seules, Jeanne et moi ; Jacques s’établira ici et se créera facilement une clientèle dans la ville voisine. Je suis heureuse de lui apporter une fortune indépendante que m’a léguée mon père, et qui lui permettra d’attendre et de choisir, de n’exercer son art, s’il le désire, que par dévouement, ou s’il le veut, afin d’apporter sa part d’aisance à notre ménage.

Notre ménage ! quel joli mot ! il m’ouvre sur l’avenir une perspective riante qu’il me semble découvrir pour la première fois ; il est plein de choses miroitantes et douces qui défilent devant mes yeux charmés : tableaux adorables où je vois toujours les deux mêmes personnages, marchant dans la vie, appuyés l’un sur l’autre, seuls tous deux, dans la foule et dans la solitude, comme si le monde leur appartenait. Je ferme les yeux pour suivre plus longtemps la douce vision ; je me sens des ailes, il me semble être cette princesse des contes de fée qui marchait sur des roses sans les froisser.

Ma Jeanne est sans fortune, mais elle l’ignore et je suis assez riche pour qu’elle l’ignore toujours.

Elle devient charmante, ma mignonne Jeanne, contre toute prévision ; Jacques, qui ne l’avait pas vue depuis près d’un an,