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l’a trouvée grandement changée ; il l’avait quittée maigre et chétive, les cheveux d’un blond trop pâle, le teint gris et sans éclat : elle a beaucoup grandi, mince et élancée, elle a la démarche souple et légère, d’une jeune déesse ; ses cheveux, frisés sur le front en boucles serrées, semblent lui faire une couronne ; elle a d’admirables yeux du brun clair des noisettes mûres, dont le regard largement ouvert laisse lire jusqu’au fond de l’âme.

Je suis brune et j’ai des yeux bleus, ce qui faisait dire à ma mère qu’elle s’était trompée en donnant ces yeux bruns à ma blonde Jeanne et en m’en donnant des bleus, qui font un effet étrange avec mon teint très brun.

Nous n’avons, du reste, rien de commun, ni au moral, ni au physique ; ma sœur a hérité de la nature vive et ardente de son père ; j’ai gardé, de ma mère, un sérieux, une sorte de faiblesse un peu paresseuse et un peu triste.

Je me trompe, nous avons un point que je crois commun : nous nous aimons tendrement ; son bonheur m’est plus cher que le mien ; sa santé m’inquiète plus que la mienne ; je suis un peu sa mère, j’ai dix ans de plus qu’elle.

Jeanne est la gaîté en personne, elle est faite pour le rire ; le chagrin n’a aucune prise sur elle, il glisse sur son cœur comme la pluie sur les ailes de l’oiseau. Elle a la faculté rare de saisir toujours le bon côté des choses, au contraire de cette sotte Germaine, que tout inquiète, qu’un rien fait pleurer, parfois même les choses gaies.

Jacques reproche à Jeanne cette insouciante gaîté, ce trop grand plaisir à exercer son esprit aux dépens des autres ; car elle a le don, très rare en notre pays, du mot juste ; mais aussi l’habitude du mot vif et piquant.

Ce genre d’esprit m’est, de tous points, antipathique, et il déplaît à Jacques, car sans que Jeanne semble s’en apercevoir, je vois, au froncement de ses sourcils, à son silence subit, que Jacques désapprouve une liberté de langage qui pourrait devenir un défaut grave.

Ce n’est pas pour nous que je crains ; nous savons combien elle est bonne au fond ; mais je voudrais la voir aimée de tous ; je voudrais qu’aucune ombre ne déparât sa radieuse beauté.


Juin. — Nous passons de longues journées dans les bois et les champs ; j’adore les bois, leur mélancolie, leur silence ; je m’attarde souvent le long des sentiers à rassembler dans ma main quelque mousse superbe ou quelque fleurette ignorée et charmante, pendant que Jacques, secouant la fatigue de ses derniers mois d’études, s’élance avec Jeanne ; je les vois