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courir à perdre haleine, sauter les ruisseaux, escalader les talus ; je les entends rire et parfois se quereller comme autrefois ; alors Jeanne boude, et tandis qu’elle marche devant nous frappant le chemin du talon de sa bottine, Jacques me revient, et je lui montre ma récolte ; nous admirons ensemble les merveilles de la flore de nos bois, et la promenade s’achève dans une causerie pleine de charme.

Cet amour que j’éprouve pour les bois, fait l’objet de fréquentes discussions. Jeanne et Jacques préfèrent la mer, les plages de sable gris, l’odeur saline de l’air, les grands horizons. Certes, j’admire la mer et m’enthousiasme à ses spectacles grandioses, mais mon admiration est toute platonique, je ne l’aime pas. Je ne m’explique pas moi-même pourquoi je n’éprouve en face de son immensité que de l’admiration, sans amour, et pourquoi mon affection pour les bois est si exclusive. Peut-être ce goût m’est-il resté de mes souvenirs d’enfance, de mes longues vacances, des convalescences de ma frêle santé, passées dans un pays boisé, à un âge où les impressions sont si profondes, qu’elles dominent souvent tout ce qui, plus tard, passe sur notre cœur.


Juillet. — Nous passons nos soirées au jardin, au pied de la terrasse dont les quelques marches sont vivement éclairées par la lune.

Les soirs sont délicieux, doux et frais après la chaleur du jour. Le crépuscule descend lentement, les lointains se voilent ; quand les clochettes des troupeaux ont cessé de se faire entendre et que les querelles d’oiseaux se sont apaisées dans les branches, un silence profond s’étend sur la campagne ; pendant longtemps aucun de nous ne le trouble : Jeanne imprime au hamac, dans lequel elle s’est couchée, un insensible mouvement de balançoire et la lune dessine nettement nos ombres sur le sable ; ma chaise-longue et celle de Jacques ne forment qu’un groupe ; devant nous le hamac va et vient et ressemble au berceau d’un enfant endormi, qui garde encore l’élan que lui a donné sa mère.

C’est l’image de notre vie, nous sommes tous deux occupés d’elle, nous serons deux à veiller sur elle ; elle dort ou elle rêve, les yeux fermés, et moi, les sentant tous deux si près de moi, je suis heureuse.

Un proverbe dit : Ne cherche pas le bonheur au dehors de ce que peuvent enfermer tes deux bras.

Ce bonheur facile est celui de mon choix et Je n’ai aucun désir d’en demander davantage à des événements extraordinaires.