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Page:Louis Delaporte - Voyage d'exploration en Indo-Chine, tome 1.djvu/179

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parut un sacrilège. L’attachement des Cambodgiens à leurs chefs héréditaires est sincère et profond, et ce sentiment a été surtout exploité par les Siamois, qui ont toujours eu soin de garder comme otage ou de conquérir à leurs intérêts un membre de la famille royale. En 1840, tous les mandarins cambodgiens se décidèrent à envoyer une lettre au roi de Siam pour lui demander d’envoyer Ang Duong gouverner le Cambodge. Ce fut encore le Bodin qui fut chargé d’opérer cette restauration. Il vint mettre le siège devant Pursat, que rendit sans combattre le gouverneur annamite. Le Bodin l’épargna lui et ses soldats, trouvant sans doute plus politique d’arriver au but qu’il se proposait par un accord amiable avec la cour de Hué, que par l’emploi de la force ouverte. Mais, sur ces entrefaites, Minh-mang mourut et fut remplacé par le faible Thieou-tri. Les Siamois réussirent à chasser les Annamites de Pnom Penh, et Ang Duong fut fait roi du Cambodge (1841). Tru’ong-minh-giang se suicida à Chaudoc, après avoir fait mettre à mort la reine Ang Mey. Ang Em, frère d’Ang Duong, mourut l’année suivante chez les Annamites, laissant un fils nommé Ang Phim, qui devint le prétendant de la cour de Hué.

En 1845, les Annamites, profitant d’une révolte de quelques mandarins, parmi lesquels étaient le chacrey Mey et le bavarach Ros, prirent l’offensive, chassèrent les Cambodgiens de Pnom Penh et remontèrent le bras du lac jusqu’à Compong Tchenang, en refoulant devant eux les troupes siamoises accourues avec le Bodin au secours d’Ang Duong. Ils investirent Oudong où celui-ci s’était réfugié avec le général siamois, et, après plusieurs engagements indécis, le Bodin proposa la paix. Les pourparlers durèrent près d’une année : on se rendit de part et d’autre les prisonniers et les otages. Ang Phim, le neveu et le compétiteur d’Ang Duong, fut envoyé à Bankok, où il mourut peu après dans un état d’aliénation mentale. On détruisit les fortifications de Oudong et celles de Pnom Penh, et Ang Duong reçut la double investiture de l’empereur d’An-nam et du roi de Siam (1846). L’année suivante, on coupa les cheveux à Ang Chrelang, fils aîné d’Ang Duong, on lui fit revêtir, suivant l’usage, la robe de bonze et on lui donna le nom de Prea Ang Reachea Vodey. Ce prince, qui est le roi actuel du Cambodge, était né à Angcorborey en 1834. Sa mère s’appelait Ben et était fille de l’okhna Sauphea Typhdey[1]. Au bout de quatre mois, il quitta la pagode qui lui avait été assignée et fut envoyé à Rankok. Le roi avait eu également de deux femmes différentes deux fils appelés, l’un Ang Sor (1841), l’autre Ang Phim (1842), et trois filles, Ang Tremal (1831), Ang Ou (1833), et Ang Complang (1849). Ang Duong décerna les plus grands honneurs au prêtre qui avait instruit son fils aîné. Il le fit chef suprême des bonzes et ordonna qu’on se servît, pour lui répondre, des formules employées pour le roi.

Ang Duong se montra à plusieurs égards souverain intelligent et actif ; il favorisa la reprise des relations commerciales avec les Européens, fit frapper des monnaies d’argent, portant d’un côté les tours ou Preasat du royaume, de l’autre l’image de l’oiseau Hans. La date y était inscrite dans les trois ères : l’ère de Bouddha, l’ère de Salivahana et la petite ère. Celle-ci commençait déjà à prévaloir, sous l’influence de la domination siamoise :

  1. Mandarin de second rang, le premier des juges royaux.